Instructions profondes sur śamatha
English | Deutsch | Français | Português | 中文 | བོད་ཡིག
Instructions profondes sur śamatha
par Jamgön Mipham Rinpoché
Je me prosterne devant Mañjuśrī !
Résumé des bienfaits de cette pratique
Si tu concentres ton esprit [sur lui-même], tu parviendras à la quiétude (śamatha) et, graduellement, la vision pénétrante (vipaśyanā) qui perçoit la nature des choses poindra.
L’instruction proprement dite
Oriente ta conscience ordinaire – cette présence vive, claire, ouverte et brillante – vers le centre vide de ton cœur, et laisse-la se déposer. C’est ce qu’on veut dire quand on parle de tourner l’esprit vers lui-même. Dans cette expérience, il n’y a rien du tout sur quoi se concentrer.
Si l’esprit existe, on devrait pouvoir le trouver dans le corps ; mais on ne l’y trouve point – ni dans le cœur, ni où que ce soit.
Quand les pensées se déchaînent, observe leur source et restes-y dans une douce tranquillité.
Nul besoin de chercher l’esprit ; il suffit de te détendre, et de te reposer là où tu te trouves. Il n’est pas non plus nécessaire de chercher à savoir s’il y a un « lieu » quelconque où demeurer ; demeure simplement au sein de l’esprit.
Il est tout à fait correct de se détendre et de permettre à l’esprit de se déposer en lui-même, « dans son propre lit ». C’est là la façon de se reposer sans artifice[1] ; tout le reste est superflu.
Tout comme l’éclat de la lumière du soleil augmente quand elle se réfracte et se réfléchit sur des eaux tumultueuses, les pensées et les émotions prolifèrent dans un esprit agité. Or, tenter d’arrêter les pensées ne fonctionne tout simplement pas. Cependant, quand les eaux cessent de s’agiter, qu’elles s’apaisent et se stabilisent, le reflet des rayons du soleil perd en intensité. De façon analogue, laisse l’esprit – la source – se poser calmement, sans agitation mentale.
N’oublie pas cette expérience. En maintenant le flot ininterrompu de l’attention et de la vigilance, reste dans le calme naturel [vide et clair] de l’esprit – dans la concentration et la fraîcheur.
Si tu fais l’expérience d’une forme de stupeur, détends-toi dans sa tranquillité naturelle.
Si tu fais l’expérience d’une clarté intense, détends-toi dans sa tranquillité naturelle.
Si tu fais l’expérience d’un esprit qui s’agite et fait déferler les pensées, détends-toi dans sa tranquillité naturelle.
Détends-toi simplement dans l’expérience directe, nue, de tout ce qui se trouve dans l’instant même, peu importe ce qui survient.
Quand ces expériences de stupeur, de clarté et de pensées se manifestent, reconnais-les, sans les suivre ou les poursuivre. Demeure simplement dans l’espace offert par la reconnaissance de leur nature.
Familiarisation aidant, cette [reconnaissance] durera de plus en plus longtemps. Laisse toute analyse et toute réflexion grossière se résorber sur place.
À l’occasion, l’esprit peut sembler léthargique et dénué de tout mouvement [de pensée]. Dissipe cette somnolence et repose-toi simplement.
À d’autres moments, l’esprit peut sembler totalement mouvementé : il engendre toutes sortes de pensées. Alors, sachant que les mouvements ne sont autres que l’esprit, regarde sa nature et détends-toi.
N’essaie pas de prolonger l’expérience qui suit le mouvement ; continue simplement. Les pensées se tasseront naturellement, et tu en viendras à voir que l’agitation, le calme, et même les sentiments et émotions intenses sont tous à la surface de l’esprit. Relaxe dans ses profondeurs.
Poser l’esprit dans le cœur ou simplement le « laisser être » sont essentiellement la même chose. Le point clé, c’est la relaxation de l’esprit. Quand on reste présent, les nœuds de la pensée en viennent à se défaire d’eux-mêmes. [Tout comme un serpent emmêlé peut défaire ses nœuds sans avoir besoin d’aide, l’esprit, quand on le laisse se reposer authentiquement, se libère de lui-même.]
Les inconvénients d’être continuellement sous l’influence de la pensée discursive
Les pensées discursives n’ont pas de fin ; elles ne disparaîtront pas d’elles-mêmes. Malgré leur diversité et leur abondance, elles n’offrent aucun résultat ou bienfait digne de ce nom. Elles ne peuvent mettre fin à la souffrance ni aux états mentaux négatifs.
[Or, si tu souhaites te libérer de la souffrance, tu dois te débarrasser de ses causes.]
C’est pourquoi il te faut reconnaître les inconvénients des émotions et pensées discursives.
Depuis des temps immémoriaux, tu as été sous la férule de ces pensées, avec pour résultat que tu n’as pas acquis la moindre qualité authentique.
Désormais, renonce à l’attachement à de telles pensées, et fais tout ce que tu peux pour cultiver la quiétude de l’esprit.
Les qualités qui émergent quand on surmonte la pensée discursive
Si tu peux le faire, tu gagneras de nombreuses qualités, comme la concentration et la clairvoyance [non contaminée]. Tu deviendras apte à demeurer dans l’état naturel et à trouver la félicité suprême.
Des raisons de consacrer de grands efforts à la pratique
En comprenant ainsi les inconvénients et les bienfaits, et ayant obtenu un certain contrôle sur ton esprit, continue de pratiquer avec une diligence inlassable jusqu’à ce que tu atteignes la quiétude. [Tu seras alors passé par les stades méditatifs du mouvement, de l’accomplissement, de la familiarité, de la stabilité et de l’expérience ultime, et atteint le samādhi du pinacle du saṃsāra.]
En te familiarisant avec cette méthode méditative, l’énergie mouvante – le « vent » de l’activité – [qui engendre tant de pensées] convergera vers ton cœur et entrera dans le canal central. Les pensées sauvages et obstinées seront graduellement pacifiées, et ton esprit deviendra de plus en plus malléable et positif.
[Le vent de l’activité – le mouvement de l’énergie subtile dans le corps – en viendra naturellement à se dissoudre dans le canal central. Cela aura pour effet que le « cavalier » de l’énergie en question, la pensée discursive, se retrouvera sans monture et se dissoudra naturellement dans la vacuité de la présence éveillée. Tu seras alors sans pensées : la discursivité se sera calmée, et tu demeureras dans la luminosité ouverte de leur absence.]
À quel point cette méthode de méditation est profonde et pourtant facile à pratiquer
Même sans aucun autre mode d’introduction de la part du guru, ces instructions essentielles sur le repos de l’esprit en lui-même offrent un moyen simple de calmer l’esprit qui ne présente aucun des risques associés à la manipulation intense de l’énergie.
Si tu peux simplement poser l’esprit en lui-même de cette façon, tu acquerras promptement une concentration malléable, sans grande difficulté.
Ici, nul besoin de méditer sur les bindus ou gouttes subtiles dans le cœur, ni sur des lettres, ni d’ailleurs sur quelque forme ou image que ce soit. Il n’est pas non plus nécessaire de manipuler le souffle.
La méthode de quiétude la plus profonde consiste simplement à voir la nature de ton propre esprit, à t’y reposer, et à maintenir sa continuité en restant pleinement présent. C’est facile à pratiquer et les résultats ne tardent pas.
Résumé des points clés et de la façon dont la quiétude mène naturellement à la vision pénétrante
Tout d’abord, repose-toi tranquillement et laisse l’esprit se stabiliser. Puis, oriente-le doucement vers lui-même, l’esprit observant l’esprit. Les pensées discursives et négatives se libéreront d’elles-mêmes, naturellement, comme quand on regarde dans le vide sans rien de particulier à observer. Alors, le secret de l’esprit – la dharmatā, union de la vacuité [le sujet du deuxième tour de la roue du Dharma et la vue du Madhyamaka] et la clarté [le sujet du troisième tour et des mantras, la nature de bouddha] – se dévoilera naturellement. Alors, grâce aux bénédictions émanant de la réalisation d’un maître parfait et qualifié, de sa lignée, et de ta dévotion parfaite, il en émergera une expérience de la clarté vide du grand état naturel – la sagesse spontanée, née d’elle-même, qui est le sens de la Grande Perfection lumineuse.
Écrit par Mipham pendant la troisième partie du sixième jour du deuxième mois de l’année du cheval de feu.
| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise de Sean Price (2019). Les sous-titres furent ajoutés par Khen Rinpoché Yéshé Gyaltsen pour faciliter la lecture.
Bibliographie
Édition tibétaine
Mi pham rgya mtsho. gSung 'bum/_Mi pham rgya mtsho. BDRC W23468. 27 vols. Paro, Bhutan: Lama Ngodrup and Sherab Drimey, 1984–1993. http://tbrc.org/link?RID=W23468 Vol. 27: 44a (163) – 45b (166).
Version : 1.1-20240621
-
On a lu na mar plutôt que na nor. ↩