Instructions essentielles sur le guru-yoga
L’escalier menant au palais de la Lumière de lotus
Instructions essentielles sur le guru-yoga
par Dodrupchen Jigmé Tenpai Nyima
Namo gurubhyaḥ !
Dans l’océan du saṃsāra pousse un lotus de compassion à mille pétales,
Au centre duquel, dans la fraîche splendeur de la sagesse primordiale,
Se trouve Né-du-lotus, Dorjé Ziji Tsal[1].
Puisse-t-il rester inséparablement sur la Glorieuse Montagne cuivrée au centre de mon cœur !
Une prophétie concernant Rigdzin Jigmé Lingpa se trouve dans le texte scellé du Gongdü ; on peut y lire :
Il en viendra un qui mènera au domaine des vidyādharas quiconque a une connexion.
Dans cette optique, c’est principalement sur la base de la pratique extérieure du maître, Le Joyau qui exauce les souhaits, que tous ceux et celles qui y sont connectés accéderont au séjour des vidyādharas, accomplissant ainsi la prophétie, comme on l’explique dans l’histoire de la révélation du trésor et dans la grande biographie. Je consignerai ici les instructions clés, telles que je les comprends, sur ce guru-yoga qui mène les pratiquants au champ de la Glorieuse Montagne cuivrée.
En général, on ne devrait expliquer la pratique du maître qu’aux disciples les plus éminents, et pour qui elle ouvre la porte à l’expérience et à la réalisation de la pratique principale. Néanmoins, je la décrirai ici d’une façon qui conviendra au disciple ordinaire aspirant à trouver la libération dans une vie future. Cette explication s’articule en douze points.
1) Il est enseigné qu’on doit méditer sur le fait que tout ce qu’on perçoit est en réalité le royaume de Péma Ö (« Lumière de lotus »). Dans l’océan, entouré des huit grandes îles des rākṣasas – qui sont des lieux plus splendides et merveilleux encore que Somapūri et Malaya, les deux champs suprêmes comparables aux purs mondes célestes –, se trouve un lac aussi immense que si le ciel bleu s’était posé sur la terre pour se transformer en plan d’eau. En son centre : la Glorieuse Montagne cuivrée, vaste, haute et de nature imposante. Sur certains de ces flancs sont érigées des cités de rākṣasas, d’aucunes arborant des manoirs élégants, d’autres ayant l’aspect de charniers. Des guerriers (vīras) et des ḍākinīs s’amusent et font des célébrations au sommet, lequel est magnifique, resplendissant, doté de nombreuses caractéristiques vastes et merveilleuses. Il y a des forêts exauçant les souhaits, des sources de nectar, des rocs de cristal et des prés couverts de fleurs. Voyez ces volées d’oiseaux et ces abeilles qui connaissent les chants symboliques et les danses des ḍākinīs ! Voyez ces biches adorables, qui gambadent et se pavanent fièrement ! Tout ce dont on peut avoir besoin – vêtements, parures, accessoires, nourriture, breuvages, et cætera – se trouve à portée de main. Le ciel, où s’entrecroisent des lumières irisées, est plein de vidyādharas et ḍākinīs qui se rassemblent comme autant de grains de poussière chatoyant dans les rayons du soleil. Ils récitent des mantras secrets, entonnent des chants de vajra et effectuent des danses adamantines, et les sons transforment instantanément les perceptions en grande félicité. Au centre se trouve le palais, Lumière de lotus, constitué de diverses pierres précieuses, brillantes et colorées. Son éclat est spectaculaire et sa conception comprend de nombreuses caractéristiques bien spéciales : au sud se trouve une grande salle de rassemblement, associée au dharma apaisant ; à l’est, une grande salle d’agrément, associée à l’accroissement ; et ainsi de suite. Les toits sont en or, et décorés de festons de clochettes qui font résonner le son du Dharma. Le tout est rempli d’infinies richesses et ornements. Ceux et celles qui ont la bonne fortune de renaître en ce lieu sont évoqués dans les textes portant sur les déités paisibles et courroucées :
Né miraculeusement en un instant
Dans le grand palais de l’assemblée des vidyādharas
Sur la Glorieuse Montagne de Cāmara.
Comme cette citation l’indique, de tels êtres naissent là-bas sans être entachés par une matrice. Vous devriez trouver les détails ailleurs et y réfléchir de façon répétée. Il est également crucial de considérer encore et encore que si vous naissez sur Cāmaradvīpa, vous naîtrez dans le palais Lumière de lotus, et de garder cette notion à l’esprit jusqu’à ce qu’elle s’actualise.
2) Comme expliqué dans le dernier chapitre du Trésor de précieuses qualités, les êtres ordinaires sont incapables d’appréhender toute l’ampleur des domaines exquis des vidyādharas accomplis dans les insurpassables mantras secrets, ni d’en faire directement l’expérience ; c’est sur la base du yoga de la déité qu’il faut y parvenir. Ici, ce qui détermine notre degré d’interaction avec ce champ pur, c’est le degré auquel la majesté et les bénédictions illusoires de l’ultime sagesse coémergente présente dans le cœur de Guru Rinpoché entrent dans notre propre cœur. Dans le contexte de la façon dont les apparences furent révélées aux disciples, rappelons-nous qu’il y eut deux [yoginīs] inégalées pour ce qui est d’invoquer et de maîtriser cette sagesse : Mandāravā et Tsogyal. Cette dernière est tout spécialement proche de nous les Tibétains, et on la décrit comme la reine du royaume de la Glorieuse Montagne. Par conséquent, recevoir ses bénédictions crée une connexion particulièrement forte pour invoquer la sagesse du maître et atteindre le champ pur de Péma Ö, et c’est pourquoi nous adoptons fièrement l’aspect de la yoginī Tsogyal.
3) Reportez continuellement votre attention sur les caractéristiques de l’authentique et immortel vajra-kāya de Guru Rinpoché et exercez-vous au yoga du rappel, de sorte que cela devienne totalement familier à votre esprit. C’est la meilleure des causes permettant d’être guidé directement par cette forme, qui s’avère donc être la figure la plus importante du champ de mérites. Il est généralement enseigné que la forme du Guru ne se résume pas à une seule apparence fixe. Ici, en cette terrifiante époque finale, alors que les obstacles à l’atteinte du domaine des vidyādharas sont nombreux et colossaux, la forme appelée « Conquête du monde et des apparences » (Nangsi Zilnön), qui est reconnue comme étant leur suprême antidote, est particulièrement sublime. Le style consistant à méditer sur les maîtres « comme un attroupement dans un marché » est idéal pour créer les conditions interdépendantes permettant de rencontrer sans tarder de nombreux gurus à des niveaux avancés et de recevoir le nectar de leurs instructions, comme dans la biographie du bodhisattva Sudhana. C’est pourquoi il est crucial de suivre la visualisation décrite ci-dessous. La pratique d’offrande au maître appelée Océan d’accomplissements est plus élaborée ; elle comprend Saraha, Nāgārjuna et leurs héritiers, de même qu’Asaṅga et Śāntideva, Dharmakīrti et le glorieux Atiśa – la plupart des paṇḍitas accomplis impliqués dans les enseignements généraux et plus particulièrement ceux qui ont eu le plus grand impact sur la tradition des mantras. Cela est également évoqué dans la traduction des symboles des ḍākinīs figurant dans le colophon du texte-racine de la pratique du maître.
4) Le Précieux Maître ne vacille jamais dans le fait de guider les disciples avec compassion. Toutefois, pour bénéficier de son activité, nous devons dépendre d’une connexion avec le guru qui révèle cette voie. Ce dernier fonctionne donc comme un canal amenant l’eau d’un réservoir jusqu’au champ qui doit être irrigué. À cet égard, le guru qui a reçu la transmission accomplira d’abord l’essence de la forme d’Orgyen Rinpoché et de tous les champs purs en méditant sur le Maître en tant que personnification de toutes les familles de bouddhas. Quand ensuite il nous confère l’initiation, il nous confie le royaume de Lumière de lotus. Or, il ne s’agit pas seulement d’avoir confiance que c’est ce que fait le guru. Une myriade de tantras nous assurent qu’à ce moment-là, Orgyen Padma entre carrément dans le corps de l’enseignant et accorde ses bénédictions. C’est un point fondamental en ce qui concerne notre capacité à accéder à ce champ pur. Pour vitaliser et maximiser le flot de bénédictions issu de l’initiation accordée par le maître-racine, nous devons le percevoir comme étant indissociable d’Orgyen Padma et nous exercer à la récitation et à la visualisation. Le texte-racine dit :
Apparaît la personnification de toutes les sources de Refuge, inséparable de mon lama racine,
Sous la forme du suprême nirmāṇakāya, le Vajra né-du-lac.
Parmi toutes les sources de refuge, celle avec laquelle nous avons le lien le plus fort, c’est le maître-racine ; il sera donc aisé pour nous de renaître en sa présence. Voilà un point bien spécial concernant cette façon effective de pratiquer : puisqu’il sera facile de renaître en présence de notre maître, il nous sera aisé de renaître sur la Glorieuse Montagne cuivrée.
5) Ici, le but n’est pas seulement de rencontrer le Grand Ācārya en personne, mais de se retrouver là où le Guru demeure en permanence, prenant directement soin de ceux qui l’entourent, et d’obtenir le corps bien spécial d’un vidyādhara. Cette forme est exceptionnelle dans sa radiance subtile, et cætera, en raison de la grandeur du lieu de naissance ou de la grandeur de la famille au sein de laquelle on naît. Le but est alors de servir le maître, de conserver une mine de Dharma, et de maîtriser les activités permettant de guider les êtres qui emplissent l’espace tout entier. Pour y parvenir, la prière ne suffit pas. Il faut créer les bonnes circonstances interdépendantes grâce aux nombreuses méthodes d’accumulation, de purification et de multiplication qu’offre le véhicule adamantin. En somme : appliquons-nous à la pratique en sept branches.
Penchons-nous sur chacune de ces branches. Il est dit que faire des prosternations devant le stūpa d’un vainqueur permet de renaître en tant que monarque universel autant de fois que la terre contient d’atomes. Dans le cas qui nous intéresse ici, le point névralgique de la pratique mantrique du guru-yoga permet de devenir un monarque universel qui est un vidyādhara adamantin. Pour ce qui est des offrandes, les manuels décrivent des offrandes de palais, de jardins d’agrément et ainsi de suite, comme des exemples des nombreux moyens de créer les circonstances interdépendantes spéciales qui permettent au bout du compte de faire l’expérience des excellentes demeures des vidyādharas. La confession purifie les obscurcissements généraux qui empêchent de renaître en présence des bouddhas, et en particulier tous les bris et détériorations de samaya. Cultiver la joie empathique à l’égard des activités des bodhisattvas ayant trait à la perfection, à la maturation et à la purification, voilà qui permet d’accumuler de vastes provisions et de cultiver les champs purs ; combiner cela à la réjouissance des actes vertueux que font les êtres en empruntant le véhicule des mantras crée des sources de vertu identiques à celles des vidyādharas de la terre adamantine et engendre la même bonne fortune. Demander de tourner sans arrêt la roue du Dharma des trois véhicules en général et plus spécialement de la collection des merveilleux mantras secrets est une suprême source de vertu facilitant l’acquisition d’une myriade océanique de connaissances en présence du guru. La supplication de demeurer est la clé permettant d’être inséparable de l’apparence du Guru Orgyen Rinpoché et ce, jusqu’au cœur de l’éveil. Quant à la dédicace, notons un point capital, si l’on souhaite atteindre à l’avenir une réalisation intégrale et impartiale du grand véhicule : on doit penser que notre dédicace couvre tous les aspects de la voie menant à l’éveil complet. Il faut comprendre ces points précisément.
6) Comme on le voit clairement dans la prière qui commence par « Ô Guru Rinpoché, Précieux Maître… », il faut réfléchir aux qualités et à la bonté du Guru Padma d’Oḍḍiyāna, afin que notre esprit soit captivé par le maître et incapable de penser à autre chose. Consacrez du temps à générer une puissante ardeur, au point d’être ému corps et âme et de vouloir vous fondre dans le guru, incapable de tolérer la moindre séparation. Offrez-vous physiquement, vocalement et mentalement avec une conviction totale, sans la moindre hésitation, et priez avec ferveur. C’est là une méthode extrêmement profonde pour effectuer le transfert du corps, de la parole et de l’esprit dans l’espace de la réalisation du maître par l’entremise de la dévotion. Se concentrer sur le guru et sa terre pure en étant dépourvu d’une telle dévotion, c’est comme lancer de la sciure de bois sur un lac – un geste futile, inefficace. Par ailleurs, il vient un moment où l’on comprend comment la domination des ennemis, la protection des alliés, le commerce, l’agriculture et les autres activités de ce genre nous gardent comme des mouches prises au piège et ce, où que l’on aille. De même, on peut réaliser qu’une fois que nous nous sommes transférés dans l’esprit de sagesse du maître, on n’a rien à gagner à revenir. Il est essentiel de comprendre cela en réfléchissant à la situation décrite dans le texte quand il est dit « En ces temps mauvais, les êtres du kaliyugā se noient dans un marécage de souffrances intenses et intolérables », et de prendre une décision ferme.
7) Il est dit, « sans s’en remettre à la magie ni à l’assistance d’autrui, ils ne voient pas ceux d’en haut[2]. » Puisque c’est principalement grâce au pouvoir des autres que nous pourrons renaître sur la terre pure de Péma Ö, nous devons absolument nous concentrer encore et encore sur la réception des bénédictions du maître et ce, de différentes façons. En voici la raison : plus nous recevrons de bénédictions, plus il nous sera aisé d’accéder à ce champ pur. Une créature attrapée par un crochet bien enfoncé n’a pas la possibilité de s’enfuir ailleurs. En pratique, les bénédictions des trois vajras sont invoquées individuellement, après quoi l’on invoque celles de la sagesse adamantine et indivisible.
On peut comprendre les détails à la lumière du texte lui-même, dans la section précisant la visualisation associée aux quatre transmissions (« La bénédiction du Corps de vajra des bouddhas me pénètre », et ainsi de suite). En particulier, quand on obtiendra la chaleur associée à la voie de la grande félicitée, on sera en mesure de voyager jusqu’aux sublimes demeures des vidyādharas, et le fait de recevoir ne serait-ce qu’un tout petit peu de bénédictions de cette façon fera une grande différence dans notre capacité à visiter ce genre de domaines célestes et terrestres dans l’avenir. Considérons également que les rayons de lumière blanche, rouge et bleue par lesquels on reçoit les transmissions ne sont autres que le nectar des bénédictions sous forme lumineuse. Cela correspond de près à la visualisation pour recevoir la sagesse de l’accomplissement dans la pratique de Rigdzin Yumka (Vidyādharā féminin), là où le texte dit, « Un flot de nectar émane du corps du maître (…) ». En résumé, cette visualisation sert exclusivement à invoquer la sagesse de la grande félicité. On peut aussi le comprendre à la lumière du deuxième point mentionné plus haut.
De plus, les tantras tels que le Longsal et le Gyutrul Sangtik enseignent qu’il y a de nombreux aspects des canaux, vents et essences de notre corps qui génèrent les trois portes des trois destinées inférieures et des destinées supérieures ordinaires. Anéantir leur pouvoir est un point profond et important de la pratique d’accompagnement post-mortem appelée « l’incinération purificatrice des six destinées », et un excellent moyen habile qui aide à dégager la merveilleuse voie menant aux terres pures de grande félicité. Dans la pratique dont il est ici question, on trouve tout cela, au complet, dans les descriptions détaillant la lumière qui provient du oṃ et purifie les actions physiques et les obscurcissements des canaux, la lumière qui provient du āḥ et purifie les actions vocales et les obscurcissements des vents (ou énergies), et cætera. De plus, comme le texte mentionne aussi les quatre niveaux de vidyādhara et ainsi de suite, on peut comprendre, si l’on examine « sans tirer sur des fils de soie », la façon dont se développe la capacité de rejoindre les rangs des vidyādharas.
Considérez également ceci : si, au moment où l’on reçoit l’initiation, on considère que les maîtres et ḍākinīs qui se trouvent tout autour unissent leur intention à celle de la figure principale et qu’ils dirigent leur sagesse vers la transmission de pouvoir, les bénédictions accordées seront encore plus puissantes.
8) Ce texte-trésor comporte une prière spéciale pour rejoindre Lumière de lotus : c’est le segment qui commence par « Quand ma vie prend fin… ». Cette prière se distingue des suppliques ordinaires et comporte les merveilleuses bénédictions de la parole adamantine. Cependant, à moins de savoir bien diriger l’esprit et de s’imprégner totalement de la prière, elle ne fonctionnera pas comme elle le devrait. « Je te prie du plus profond de mon cœur », lit-on dans le texte, « et ce ne sont pas seulement des paroles ou des mots vides de sens. » Si nous n’arrivons même pas à orienter adéquatement notre esprit – au point que nous n’avons pas la moindre idée du sens des mots et que notre attention oscille, tantôt à gauche, tantôt à droite, courant par monts et par vaux –, alors dire « ce ne sont pas seulement des paroles ou des mots vides de sens » revient à mentir au champ de mérites, ce qui est parfaitement honteux. Qu’on examine n’importe qui – soi ou autrui – et l’on découvrira de nombreuses fautes de ce genre. Répétez la prière sept ou vingt et une fois au moment d’accomplir le champ pur et concentrez-vous.
9) Penchons-nous maintenant sur la pratique principale de visualisation en vue d’atteindre la terre sublime. Le maître nous regarde, joyeux ; il nous sourit. Une lumière rouge de grande félicité compatissante, chaude et chargée de bénédictions, émerge de son cœur comme un soleil levant, et fait office de corde qui nous mène et nous accueille à Péma Ö. En touchant notre cœur, elle purifie toutes les impuretés de nos trois portes. L’expression naturelle de la dévotion, qui se manifeste sous forme de félicité, se concentre en une sphère rouge qui a la force d’une étoile filante. On dirige entièrement notre attention sur elle. Alors, comme un excellent cheval de course qui galope dans la direction indiquée, la puissance de notre dévotion intense envoie la sphère vers le haut. Le crochet de rayons compatissants mentionné précédemment l’attire comme un aimant magnétise de la limaille, et elle se dissout instantanément dans le cœur du maître. Plus tôt, le rappel des qualités du guru était une façon de subjuguer l’esprit ; maintenant, cette pensée suscite le genre de joie qu’un cygne ressent quand il plonge dans un lac de lotus. Le sentiment est donc encore plus fort. À elle seule, la prière fervente, si elle est dénuée de joie et d’allégresse, n’a pas un tel pouvoir.
La prière dit : « (…) se transforme en une sphère de lumière étincelante et rayonnante ». Je me demande si c’est ce qui crée les puissantes conditions interdépendantes permettant de rejoindre la Glorieuse Montagne cuivrée au moment de la mort, quand l’esprit-énergie se transforme en une sphère lumineuse qui n’est pas affectée par la moindre impureté (y compris la douleur de la mort) et dont émane la vive lumière de la félicité. Quoi qu’il en soit, tous les sūtras et tantras enseignent que la compassion et l’activité des vainqueurs sont telles qu’ils apparaissent sans obstruction, précisément selon l’inclination et les souhaits des disciples, comme un cristal prenant aussitôt la couleur de ce qui se trouve à proximité. Donc, ne vous mettez pas à douter, en pensant qu’il ne s’agit là que d’une prière fondée sur votre seule croyance et qu’elle n’aura pas grand impact sur ce qui se passera réellement. Adoptez plutôt l’attitude mentionnée pas moins de treize fois dans La Prière qui accomplit spontanément tous les souhaits (Sampa lhündroupma) : « Nous te prions sans la moindre trace de doute ou d’hésitation. » C’est extrêmement important.
Ce faisant, considérez que vos propres caractéristiques et celles de la terre pure réapparaissent clairement, exactement comme avant, à l’instar d’étoiles et de planètes reflétées dans un grand lac. Après avoir récité un certain nombre de fois la prière qui commence par « Quand ma vie prend fin… », mêlez votre esprit à l’esprit de sagesse du guru, comme nous l’avons expliqué. Répétez cette étape trois ou sept fois (ou un autre nombre). Bien que cela implique une visualisation clé pour diriger la conscience vers le haut, il ne s’agit pas d’un type de transfert dans lequel corps et esprit sont séparés, et cela représente donc clairement la meilleure forme de transfert, qui évite tout risque de réduire la durée de vie.
10) L’instruction et le trésor textuel offrent tous deux un conseil bien spécial : il faut également réciter la Prière d’aspiration pour la Glorieuse Montagne cuivrée. Cette aspiration n’est pas seulement une prière et un moyen d’appréhender la terre pure ; elle comporte aussi une description éminemment précieuse des étapes de la voie du Lama Rigdzin Düpa, incluant les phases de création et d’achèvement et la Grande Perfection. Donc, la réciter « en pensant au sens après les mots » (tshig rjes don dran) instaurera assurément des habitudes positives.
11) Selon les notes intégrées au texte-trésor, on ne devrait jamais considérer notre demeure comme un endroit ordinaire, mais la percevoir comme la véritable Montagne cuivrée. Si l’effet de notre méditation assidue s’envole au vent dès qu’on termine la séance, on sera comme ces gens qu’on dit faibles ou velléitaires[3] : il ne nous restera plus rien. Donc, entre les séances, il faut adopter la ferme conviction que tout ce qui nous apparaît est l’environnement, les compagnons et les agréments du champ pur de Péma Ö. Nous devons pratiquer conformément aux indications du texte-trésor, en nous adaptant à toutes les circonstances et à tous les objets qu’on rencontre, qu’ils soient plaisants ou déplaisants, et en appliquant un remède unique. De même, en nous entraînant continuellement de manière à ce que méditation et post-méditation se soutiennent mutuellement – comme des chevaux qui coopèrent pour se débarrasser de leurs puces –, alors, même si nous n’avons pas changé de forme physique, les perceptions de notre esprit nous donneront le sentiment que nous avons déjà pris naissance sur la Montagne cuivrée. La force de la familiarisation, comme la tension accumulée dans un bout de papier roulé, fera que dès nous nous échapperons de cette enceinte corporelle, nous serons menés directement au champ pur. Voilà un point clé sublime. Le processus du transfert par la pratique de la phase de création est similaire.
12) Pendant le jour, il est surtout question du champ pur en relation avec les apparences, alors que le yoga nocturne (en tant que culmination de l’entraînement à la phase de perfection dans laquelle se fondent l’esprit et la sagesse) concerne principalement la nature de ce champ pur et l’aspect de vacuité. Pour cela, visualisez le champ pur, magnifiquement agencé, comme avant, et invitez le maître siégeant au-dessus de votre tête à descendre prendre place sur le coussin de lotus au centre de votre cœur. Des rayons en émanent : l’intégralité du pur environnement, et tous les êtres qui l’habitent, y compris votre propre corps, se dissolvent vers le centre, comme comme de la buée s’évaporant d’un miroir. Alors, mêlez votre esprit à la sphère de la grande luminosité et endormez-vous. Quand vous maîtriserez cette méthode, vous pourrez visiter la terre pure dans vos rêves et y voir le palais et les déités (« le contenant et son contenu ») sans la moindre difficulté, dès que vous le souhaiterez. Puisqu’il y a une correspondance entre le sommeil et la mort, cultiver de cette manière une excellente familiarité est un point clé d’une importance capitale au moment de la mort et dans les bardos. Il serait pertinent d’examiner la question plus en détail pour voir s’il y a aussi une correspondance entre le fait de cultiver la voie passant par l’ouverture de Brahmā – considéré comme crucial pour transférer la conscience vers une terre pure – et les séquences de visualisation pendant lesquelles on invite le guru à monter et descendre en suivant ce passage à l’endormissement et au réveil.
Il est des points subtils concernant la manière d’expliquer, à l’aide du langage propre à l’Essence du cœur, comment les yogas du jour et de la nuit se valident l’un l’autre, et la façon dont les différents aspects du champ pur, de la forme et du palais sont entièrement présents dans un seul instant d’authentique conscience naturelle. Le premier sujet est assez facile à comprendre, alors que le second concerne la signification profonde de la pratique principale ; je n’en traiterai donc pas ici.
Quoi qu’il en soit, réfléchissez au fait que les Tibétains en général et tout spécialement ceux qui pratiquent les profonds enseignements des trésors pourront facilement renaître dans ce royaume en raison de leur étroite connexion avec Guru Rinpoché (karma et aspirations aidant), et réjouissez-vous. Contemplez également à quel point renaître sur cette terre pure est riche de sens. J’en ai déjà traité, d’une certaine façon, mais permettez-moi d’ajouter quelques mots et de tout condenser.
Le lieu dont il est question ne présente aucune des contaminations de l’époque dégénérée qui affaiblissent notre forme physique, notre vitalité, notre prospérité et notre inclination à la vertu. De telles contaminations sont anéanties par la splendeur du royaume des vidyādharas – avec sa pureté qui englobe tout et la puissante luminosité propre de la sagesse illusoire –, de même que par les puissants vidyādharas et ḍākinīs, avec leurs mantras, samādhi et conduite yogique. Cela signifie qu’il n’y a pas de condition pouvant obstruer la voie menant à l’accomplissement[4]. Les richesses de cette demeure des vidyādharas accomplis sont merveilleuses à regarder et induisent aussitôt une expérience de grande félicité. Plus l’on se familiarise avec cet endroit, plus notre perception pure augmente. Peu importe comment on l’aborde, on ne peut jamais comprendre toute l’ampleur de ses bénédictions. Il se manifeste selon nos désirs, apparaissant exactement tel qu’on le souhaite. Il est en harmonie avec notre esprit. Les autres ne peuvent l’abîmer. C’est comme si le pouvoir même de la maîtrise prenait forme. En faire l’expérience engendre instinctivement la confiance dans l’idée d’un endroit qui confère des bénédictions.
Les trésors secrets du Dharma préservés dans ce royaume par des dévas, nāgas et ḍākinīs se dévoilent spontanément comme des fleurs estivales. Cet endroit a les qualités d’un lieu créé naturellement par des mantras. Son pouvoir est tel que même des gens comme nous pouvons y renaître et accéder à l’incroyable bonne fortune et aux abondantes qualités d’un vidyādhara. Il porte naturellement les bénédictions de ceux qui y résident de façon permanente, de même que des vīras et ḍākinīs qui le visitent depuis d’autres domaines célestes, voyageant miraculeusement d’un endroit à l’autre. Ils dirigent leurs intentions de sagesse et ont la capacité de nous aider sur la voie.
Grâce à la foi et à la dévotion stables à l’égard du mantra et des sources de réalisation qui viennent de ce que l’on contemple continuellement le pouvoir inconcevable de l’accomplissement, tous les siddhis de l’action et de la sagesse se manifestent aisément.
En particulier, la figure principale de ce champ pur est l’immortel Padmākara de grande félicité. Il est la source de tout le saint Dharma et la base d’où sont issus tous les tantras, écritures et instructions. Il possède toutes les qualités des maṇḍalas et familles de bouddhas. Sa forme incorpore toute la sagesse de la réalisation. Il resplendit de sagesse et d’amour, comme un milliard de soleils. Il émerveille les grands vīras des domaines célestes qui le regardent avec admiration, et il accorde des instructions aux ḍākinīs adamantines qui se mettent à son service, illimitées comme le dharmadhātu. Ce maître, qui a accompli une nature aussi infaillible que les marées de l’océan et qui agit sans attendre pour guider les disciples dans l’infinité des mondes des dix directions, est comme la couronne, le fleuron, de la famille de bouddha que vous servez, dans les trois temps inséparable du guru qui vous est assigné et grâce auquel vous pouvez savourer le nectar du profond Dharma. Le guide de pratique dit :
Dans ce champ pur, vous atteindrez assurément le niveau de Samantabhadra en parachevant les quatre niveaux de vidyādhara encore plus rapidement que se déplacent le soleil et la lune.
C’est donc ainsi qu’il faut procéder, sans faire d’erreur. Par contraste, vous pourriez expliquer le Dharma à vous en dessécher la gorge, voyageant partout au point d’user vos semelles jusqu’à la corde, et n’en trouver pas moins difficile d’améliorer le sort d’un seul être. Toutefois, sur la terre pure, il suffit d’une brève période et d’un petit effort pour devenir comme Mañjughoṣa et Avalokiteśvara, avec une maîtrise impartiale des tempéraments des disciples, grâce aux roues des activités de Samantabhadra. Donc, que l’on considère notre propre but ou celui d’autrui, cela représente l’aspiration positive par excellence.
Depuis des temps sans commencement, nous sommes tourmentés par la souffrance dans l’abysse des trois mondes inférieurs. Maintenant que nous regardons enfin en direction des mondes supérieurs, c’est comme si on nous offrait un repas après qu’on en ait manqué une centaine. Reconnaissons cet état de fait, sans sombrer dans l’indifférence : ainsi pourrons-nous être attrapés par le crochet de la compassion, introduits à la tradition du Dharma, nourris par les instructions qui mûrissent et libèrent ; ainsi pourrons-nous jeter les bases interdépendantes qui nous permettront de nous entraîner en suivant l’intégralité de l’excellente voie des vainqueurs, depuis les quatre contemplations déterminantes jusqu’à la cime adamantine de la claire lumière. Comme le dirait une mère aimante à son enfant :
Tu dois mener cette pratique à terme. La finalité en question est marquée par l’atteinte de la bouddhéité. Si tu abandonnes la pratique, tu n’y parviendras jamais. Dans l’état actuel des choses – ton intelligence, ta diligence et les conditions interdépendantes étant faibles –, tu n’atteindras pas la destination au cours de cette vie. Et même dans la prochaine vie, il y a un grand risque de perturbation – tu pourrais dégringoler inexorablement, comme une avalanche… Pour que tu puisses laisser les cailloux en amont de la rivière et éviter d’avoir à inverser leur descente, je t’offre cette instruction, pratique et facile à accomplir. Elle est comme l’épée de la réalisation : si tu t’en saisis et que tu la manies bien, tu obtiendras instantanément des résultats et rejoindras le rang des vidyādharas. Penses-y : tu as reçu cette méthode de réalisation et elle te mènera au Dharma en présence des bouddhas. On ne peut rembourser le glorieux guru pour cette bonté ; il te faut la reconnaître et t’en souvenir, et aller là où t’envoie le père du Dharma.
Sachez que selon l’Omniscient lui-même, l’initiation fondamentale du vase conférant la majesté doit être reçue avant de pouvoir mettre en pratique cet enseignement ; et qu’une fois qu’on l’a reçue, si on détériore le samaya, il sera même difficile d’obtenir une vie humaine, sans parler du support physique d’un vidyādhara. C’est pourquoi le guide de pratique dit : « avec un samaya et une dévotion entièrement purs…[5] ». En cas de détérioration, on n’a pas le choix : il faut s’appliquer aux méthodes pour purifier les engagements en les réparant et ainsi de suite.
Peut-être avez-vous reçu l’instruction, mais si vous négligez de vous entraîner convenablement et de gagner en assurance tandis que vous êtes en santé et que votre esprit est clair, alors, quand votre heure sonnera soudain ou que vous serez frappé d’une maladie mortelle, vos pensées s’agiteront en tous sens et vous perdrez le contrôle de vous-même, comme une plume soufflée par le vent. Vous n’aurez alors pas envie de faire des efforts, ou du moins, vous ne serez pas en mesure de réfléchir correctement et serez donc incapable d’agir. C’est pourquoi il est crucial de s’entraîner à l’avance. C’est aussi un point essentiel et profond que de se motiver en réfléchissant encore et encore au fait que c’est là la façon de pratiquer au moment de la mort et dans les bardos.
Il va sans dire que si vous activez le pouvoir de cette bienheureuse pratique axée sur le guru, vous récolterez des réalisations dans la prochaine vie, comme autant de fruits mûrs au temps de la cueillette. Dans cette vie-ci, tous vos souhaits seront exaucés, comme des fleurs qui s’épanouissent, et tous les obstacles seront écartés. Voyez-y donc un joyau magique suffisant en soi, et un engagement fondamental à chérir[6].
Si un troupeau de bovins épuisés et maculés de boue
Peut trouver du réconfort dans le chant mélodieux d’un coucou,
Les instructions des profonds trésors de Padmākara, harmonieuses comme le luth,
Peuvent assurément soulager les tourments de la quintuple dégénérescence.
Cette instruction excellente, comme la vitalité printanière,
Permet aux pousses de vertu de croître dans l’esprit des êtres.
Aussi, l’activité de Né-du-Lotus se manifeste promptement,
Comme la servante estivale qui répond inlassablement à l’appel.
Puissé-je, moi aussi, dès maintenant et dans toutes mes vies,
Accéder au royaume d’un cakravartin bénéfique à autrui,
Et puisse la précieuse pluie de l’activité du glorieux guru
Abreuver tous les mondes, jusqu’aux confins de l’espace.
Jigmé Tenpai Nyima a écrit ceci en guise de rappel, dans l’espoir que ce soit utile à ceux qui sont comme lui pourvus d’une intelligence précaire. Que la vertu abonde ! Troisième mois, année de l’oiseau d’eau (1912).
| Traduit en français par Vincent Thibault (2023) sur la base de la traduction anglaise de Renée Ford et Adam Pearcey (2022), qui remerciaient Tulku Dawa et Han Kop.
Bibliographie
Éditions tibétaines
ʼjigs med bstan paʼi nyi ma. « bla maʼi rnal ʼbyor la nye bar mkho baʼi yi ge », dans gsung ʼbum ʼjgs med bstan paʼi nyi ma (bdud 'joms rin po cheʼi dpe mdzod khang du bzhugs paʼi shing par dang lag bris 'dres ma). Gangtok : Dodrub Chen Rinpoche, 1974–1975. Vol. 2 : 39–64.
______. « bla maʼi rnal ʼbyor la nye bar mkho baʼi yi ge », dans gsung ʼbum ʼjigs med bstan paʼi nyi ma (si khron mi rigs dpe skrun khang). 7 vols. Chengdu : Si khron mi rigs dpe skrun khang, 2003. Vol. 4 : 49–70.
Sources secondaires (en français)
Dilgo Khyentsé Rinpoché, La Fontaine de grâce, Saint-Léon-sur-Vézère : Padmakara, 1995.
Patrul Rinpoché, Le Chemin de la Grande Perfection (deuxième édition), Plazac : Padmakara, 1997.
Sources secondaires (en anglais)
Dilgo Khyentse Rinpoche, Guru Yoga, Ithaca, NY : Snow Lion Publications, 1999.
Ford, Renée, The Role of Devotion (mos gus) in Tibetan Heart Essence Traditions: Devotional Affect and Its Relationship to Dzogchen’s Foundational Practices (rdzogs chen). Thèse de doctorat non publiée, Rice University, 2020.
Jamyang Khyentse Wangpo, A Profound Concentration of Nectar: Essentialized Stages of Visualization for the Preliminary Practices of the Heart Essence of the Vast Expanse (Longchen Nyingtik), traduit par Adam Pearcey, Lotsawa House.
Version : 1.0-20230317
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Dorjé Ziji Tsal (rdo rje gzi brjid rtsal) est l’un des noms de Jamyang Khyentsé Wangpo. ↩
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Abhidharmakośa, III, 72cd. ↩
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Nous lisons bsam brlag mdo shor au lieu de bsam brlag mdo shog. ↩
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Nous avons suivi l’édition de Gangtok, où on lit rkyen med pa. Dans l’édition de Chengdu, on trouve rkyen byed pa. ↩
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Il ne s’agit pas d’une citation exacte. ↩
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yi dam gyi mthil. ↩