Éloge de Sarasvatī
La Mélodie de la fraîche extase
Éloge de Sarasvatī
par Longchen Rabjam
Hommage à la déesse de la poésie !
Déesse dont la nature est la joie suprême,
Mère de tous les vainqueurs et de leurs héritiers,
Tu habites une île sur un océan de qualités.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Déesse fraîchement née de la fonte des neiges
Sur la montagne de la compassion
Pour créer un doux ruisseau de poésie…
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Aussi splendide que la lune du quinzième jour,
Jeunesse d’une beauté de seize ans au visage souriant,
Ornée de bijoux qui tintent et carillonnent…
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Tu es comme la fleur d’un siège de lotus et de lune ;
Comme un mont enneigé d’un blanc éclatant ;
Comme les abondants nuages d’automne.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Ton visage est blanc comme la lueur de la lune ;
Tu es assise sur un disque de pleine lune ;
Et derrière toi se trouve un halo évoquant aussi la lune.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Ta force, ton éclat et ton teint
Font ombrage à l’éléphant, à la lune, au lotus des lacs.
Ta beauté est entière, et perpétuelle comme le soleil !
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Si une montagne enneigée avait des yeux
Faits de lotus, on penserait à ton visage.
Ton corps aussi évoque un sommet enneigé.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Je me rappelle encore et encore ta forme.
Je me concentre sur les voyelles « A » et « Ā »
Et je chasse l’obscurité avec « Hrīṃ ! Hrīṃ ! ».
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Ô merveille ! Yoginī et héroïne pleine de grâce,
Aujourd’hui, tu es comme un arc-en-ciel
Ou un reflet – à la fois visible et invisible.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Dans ton corps, qui est une masse de lumière,
Des rayons blancs, jaunes, rouges et verts
Tourbillonnent, tantôt fusionnés, tantôt distincts.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Aux yeux de certains, tu apparais dans le ciel nuageux,
Sous une forme blanc, bleu et rouge vif,
Prééminente[1], suprême et paisible.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Pour certains, tu apparais dans la lumière du soleil, sur un lotus et une lune,
Resplendissante au sein d’une masse quinticolore,
Avec un chasse-mouche et jouant de la vīṇā et de la flûte.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Pour certains, tu apparais illuminée parmi les étoiles,
Envoyant à chaque instant des émanations
Et exécutant des miracles visibles et invisibles.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Pour certains, tu apparais dans un pavillon lumineux :
Souriant magnifiquement au milieu de rayons bigarrés,
Tu émanes et déploies tes créations.
Je te rends hommage, Sarasvatī !
Ô merveille ! Déesse de bonne fortune,
Mes souhaits de longue date sont aujourd’hui exaucés.
Je te prie de révéler ta forme éveillée
Chaque fois que je voudrai te voir, t’entendre ou te poser une question !
Je te prie d’orienter la lune radieuse,
Blanche et immaculée de ta sagesse parfaite
Vers tous ceux et celles qui ont foi
En toi et en ta descendance.
Désormais, dans toutes mes vies,
Glorieuse déesse, sois mon guide,
Et suscite en moi la grande sagesse
D’une intelligence sans entrave.
Puisses-tu toujours prendre soin de moi
Comme si j’étais né dans un bosquet de lotus,
Nourri du miel des qualités physiques et familiales,
Et acclamé comme par cent mille pétales.
Puissiez-vous, toi et tous tes héritiers,
Toujours me guider et me protéger.
Puissé-je toujours me délecter
De ta gloire et de ton renom infinis.
Que tous ceux et celles qui voient, entendent ou récitent
Cette suprême mélodie de la fraîche extase
Contemplent le visage même de Sarasvatī
Et soient guidés et protégés par elle.
Grâce à la vertu engendrée par l’offrande de cet éloge,
Que tous les êtres profitent d’une intelligence parfaite ;
Qu’ils atteignent le niveau suprême de Sarasvatī
Et deviennent une source universelle de bienfaits.
Dans le bel étang aux lotus de la discipline éthique,
Le cygne de l’intelligence fait résonner son chant[2]
Et déploie les grandes ailes blanches du triple entraînement.
Qu’il en résulte un grand bonheur chez tous les êtres lucides !
Ce chant fut composé par un homme dont l’intelligence
Défie l’imagination et s’avère une source de poésie,
En se fondant sur un apprentissage antérieur vaste comme l’océan
Et sur les accomplissements octroyés par la glorieuse déesse.
Que la vertu, l’excellence et les heureux auspices abondent
Jusqu’à ce que les trois mondes du saṃsāra arrivent à leur terme !
Cette louange à la noble dame de l’éloquence, intitulée « La Mélodie de la fraîche extase », fut composée par le poète confirmé, Samyépa, à la Montagne de la Précieuse source spontanée[3].
| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la version anglaise d’Adam Pearcey (2022).
Bibliographie
Édition tibétaine
Klong chen rab 'byams. “dbyangs can ma la bstod pa.” In gsung thor bu dri med 'od zer (sde dge par ma), Paro, Bhutan: Lama Ngodrup & Sherab Drimey, 1982. Vol.1: 152–154.
Source secondaire
Klong-chen rab'-byams. Looking Deeper: A Swan's Questions & Answers. Trans. Herbert V. Guenther. Spokane, WA: Timeless Books, 1983.
Version : 1.0-20240311
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Le tibétain se lit rtse. Il faut peut-être lire plutôt rtsed, qui signifierait « ludique » ou « enjouée ». ↩
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Les deux premiers vers de ce quatrain incorporent les syllabes d’un des noms de Longchen Rabjam, Tsultrim Lodrö (tshul khrim blo gros). ↩
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La traduction française du lieu évoqué est approximative. En tibétain, on lit : ལྷུན་གྱིས་གྲུབ་པའི་རི་རིན་ཆེན་འབྱུང་བའི་གནས་. ↩