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ISSN 2753-4812
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Conseils pour Kalgön

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Conseils pour Kalgön

par Khenchen Ngawang Palzang

Mon esprit rempli de dévotion,
Je rends hommage à Loungtok Tenpai Nyima,
Et t’offre ces quelques conseils pour aider ton esprit.
Veille à toujours les appliquer à ton expérience.

Ces temps-ci, au plus sombre d’une époque dégénérée,
Beaucoup se font passer pour des pratiquants de Dharma,
Mais les bons pratiquants sont aussi rares que les étoiles en plein jour.
Plus rares encore sont ceux qui comprennent les points clés de la voie.

En suivant les instructions spéciales des maîtres de la lignée,
Tu ne devrais jamais cesser d’examiner ton propre esprit,
Et d’abandonner comme du poison les attitudes toxiques.

La bodhicitta, le souverain bien[1],
Est la graine qui se transforme en bouddhéité.
Quelque bien que tu accomplisses avec le corps ou l’esprit,
Tu dois l’intégrer à la voie vers l’omniscience.
Tire pleinement profit, grâce au Dharma, des libertés et avantages de ta vie,
Et encourage-toi en te rappelant l’impermanence et la mort.
Ce faisant, si les fixations sur cette vie ne se dénouent pas,
Alors les beaux discours creux sur « l’affranchissement des élaborations conceptuelles »
Et les attitudes présomptueuses à propos des voies de la création et de la complétude
Risquent de t’égarer, comme le sont la plupart des gens faibles.

Une discipline éthique pure en guise de fondation inébranlable,
Les Trois Joyaux en tant que phare infaillible[2] ;
Et une conviction immuable, ou une foi imperturbable –
Ces trois éléments sont indispensables.

Transporter des marchandises du sud au nord,
Ramener des marchandises du nord au sud,
Et crouler sous le fardeau des taxes[3]
Voilà trois choses qui jettent ta pratique du Dharma aux oubliettes[4].

Prétendre être clairvoyant quand on ne voit rien ;
Défier les dieux et démons quand on n’a pas de pouvoirs ;
Et éduquer le fils d’une personne sans enfant[5]
Voilà trois choses qui mènent un pratiquant à sa perte.

L’aliment maudit des viandes assorties,
La boisson troublante qu’est la bière d’orge[6],
Et le séduisant toucher des jeunes femmes –
Ce sont pour le pratiquant des poisons mortels.

L’essence vitale de la voie suprême et infaillible des vainqueurs
Comprend les instructions sur le [Dharma] vaste et profond[7],
Lesquelles sont contenues dans les mots du grand Omniscient[8].
Prends les nombreux textes que les érudits mémorisent,
Et, avec ta vision affinée par l’étude, la réflexion et la méditation,
Compare-les aux mots magnifiques des Trois Chariots[9].
Si tu es en mesure de pratiquer en t’y conformant,
Sois sans crainte : tu es indéniablement sur le bon chemin.

D’un autre côté, les discours ingénieux du pédant,
La lignée orale inventée par le méditant bercé d’illusions,
Et les charmes trompeurs et frauduleux du faux tertön –
Ce sont des démons majeurs pour ceux qui aspirent à la liberté.

Kyé ma ! Fais du Dharma ta vie !
Acquiers la sagesse qui discerne les deux vérités !
Continue de rechercher les enseignements – c’est capital !
Garde-les vivants en contemplant leur signification,
Et gagne en stabilité en pratiquant la méditation.

Jusqu’à ce que la connaissance se fasse jour dans ton esprit,
Si tu essaies de forcer ton progrès spirituel,
Tu ne seras qu’un autre pratiquant qui a perdu son sens du Dharma[10]
Et qui vend l’âme des enseignements du Bouddha.
Donc, abandonne, comme un cadavre dans la rue,
Les huit méprises qui alimentent tes obsessions en cette vie[11].

L’hostilité envers les autres philosophies et l’attachement à la tienne –
Voilà qui t’ancre à un saṃsāra désespérant.
Acquiers une compréhension profonde d’une philosophie dénuée de limites[12].
Ouvre les yeux sur la voie authentique.
Sans fanfaronner à propos de ta vue et de ta méditation,
Dompte ton esprit entêté.
Persévère dans les trois entraînements[13],
Et suis autant que tu le peux les traces des grands maîtres.
D’ici là, la pratique du Dzogchen et les belles paroles sur le Madhyamaka Prasaṅgika
N’ajouteront pas grand-chose à ton expérience.

Ainsi, en commençant par les préliminaires généraux des quatre réorientations[14],
Jusqu’à la profonde pratique du guru-yoga,
Applique-toi à l’entraînement de l’esprit à chaque séance,
Et réfléchis chaque jour à ta pratique !

Avec les quatre illimités[15] et la bodhicitta,
De même qu’avec dévotion dans le guru-yoga,
Reçois les quatre initiations et mêle ton esprit avec celui de ton maître.

Cette présence éveillée, pure et nue, connaissante et vide –
Viens-en à bien la connaître, tout au fond.
Maintiens la perspective éveillée, la magnificence du simple fait d’être.

Si tu renforces ta pratique en te comportant d’une façon qui est naturellement libre,
Dans un état dépourvu d’efforts,
Tu arriveras à ton couronnement dans le dharmakāya de Samantabhadra.

Ceci fut écrit par Tsoultrim Gyatso pour Kalgön.


| Traduit en français par Vincent Thibault (2025) sur la base de la traduction anglaise de Joseph McClellan et NT Ninjyed (2024).


Bibliographie

mKhan po ngag dgaʼ. sKal mgon dang a ka nyi ma la gdams pa. In gSung ʼbum ngag dbang dpal bzang, 2:177–80. Khreng tuʼu, nd. BDRC MW22946_CFA84F.

mKhan po ngag dgaʼ. gSung ʼbum kun mkhyen ngag gi dbang po, vol. 1, pp. 163–165. sNga ʼgyur kaḥ thog bcu phrag rig mdzod chen moʼi dpe tshogs. Khreng tuʼu: Si khron mi rigs dpe skrun khang, 2017. BDRC W4CZ364088.


Version: 1.0-20250409


  1. Traduction alternative : la vertu suprême.  ↩

  2. Ici, « phare » est une traduction créative de blo rtse, qui signifie plus littéralement un « objet d’attention » ou la « direction des pensées » (au sens, par exemple, d’un point focal ou d’une décision). Nous avons ici opté pour « phare », puisqu’un phare attire l’attention en plus de connoter la notion de refuge, implicite dans les Trois Joyaux.  ↩

  3. Traduction approximative d’une surprenante expression idiomatique tibétaine qui combine « pieds » (rkang), « plat » (leb) et « tenu en servitude » (bran du bkol ba). Jadis, au Tibet, les gens étaient imposés en fonction du nombre de personnes dans leur ménage, représentés métonymiquement par des « pieds ». Il y avait aussi une taxe foncière, représentée par le mot « plat » (comme dans « terrain plat »). Il était par ailleurs courant de devoir payer une taxe sur les (bêtes) « courbées » (sgur), c’est-à-dire sur les animaux d’élevage, mais cette taxe n’est pas mentionnée dans le vers ci-dessus. Quant aux deux vers qui précèdent, cet incessant « transport de marchandises » fait simplement référence au fait de dilapider sa vie dans des activités commerciales.  ↩

  4. Aux oubliettes, ou plus littéralement : au vent !  ↩

  5. L’expression semble faire référence au fait de gaspiller sa vie dans quelque chose de totalement futile et illusoire.  ↩

  6. Le terme utilisé, chang, couvre en fait tous les alcools non distillés. Nous avons opté pour « bière d’orge » pour des raisons de mesure et d’esthétique, et parce que dans le milieu du Khenpo, le chang était pratiquement toujours à base d’orge.  ↩

  7. Référence aux « deux traditions exégétiques » autour desquelles les traités du Mahāyāna sont organisés. « Profond » fait ici référence à la voie de la vue profonde de la vacuité inspirée par le bodhisattva Mañjuśrī et reçue et exposée par Nāgārjuna et les philosophes Madhyamaka. « Vaste » fait ici référence à la voie de la vaste conduite enseignée par Maitreya à Asaṅga et poursuivie grâce aux activités de Vasubandhu, Dignāga et d’autres logiciens et philosophes importants du Cittamātra.  ↩

  8. C’est-à-dire Longchenpa.  ↩

  9. En tibétain : shing rta gsum. Il s’agit du Grand Chariot (shing rta chen mo), le commentaire qu’offre Longchenpa de son propre texte intitulé Trouver le repos dans la nature de l’esprit (sems nyid ngal gso) ; de l’Excellent Chariot (shing rta bzang po), son commentaire de Trouver le repos dans l’illusion (sgyu ma ngal gso) ; et du Pur Chariot (shing rta rnam dag), son commentaire de Trouver le repos dans la méditation (bsam gtan ngal gso). Notons au passage la parution récente (2025) d’une traduction française du sems nyid ngal gso aux Éditions Padmakara sous le titre utilisé ci-dessus. L’ouvrage comprend le texte-racine et des extraits de l’auto-commentaire.  ↩

  10. « Perdre le sens du Dharma » traduit chos gzhung shor. Chos gzhung peut signifier les écritures ou livres du Dharma, mais le terme peut aussi faire référence à tout le canon ou système du Dharma et connoter la véritable signification de l’ensemble.  ↩

  11. Les « huit méprises » ou, comme on les appelle plus communément, les « huit préoccupations mondaines », à savoir, les fausses voies qui consistent à fonder son bonheur sur le gain et la perte, le plaisir et la douleur, les éloges et la censure, la reconnaissance et l’anonymat. « Huit préoccupations mondaines » nous semble contenir trop de syllabes dans ce contexte versifié. Le traducteur vers l’anglais a suggéré eight delusions, dans la mesure où c’est un leurre de penser que ces huit priorités produiront autre chose que de la souffrance.  ↩

  12. Traduction alternative : une philosophie impartiale ou sans parti pris  ↩

  13. L’entraînement à la discipline éthique, au recueillement et à la connaissance suprême. Ou, pour dire les choses autrement : éthique, méditation, sagesse.  ↩

  14. Les « quatre réorientations » sont plus communément appelées les « quatre pensées qui tournent l’esprit » (blo ldog rnam bzhi).  ↩

  15. Ou « quatre incommensurables » : l’amour, la compassion, la joie et l’équanimité (ou impartialité).  ↩

Khenchen Ngawang Palzang

Khenchen Ngawang Palzang

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