Conseils pour Chöying Wangmo
Conseils pour Chöying Wangmo[1]
par Khenchen Ngawang Palzang
Sur la couronne formée par tes tresses bleu foncé,
Sur le pistil d’un beau lotus épanoui,
Se trouve notre unique père, pareil à Drimé Özer[2] –
Ô, Soleil des Enseignements[3], prends soin de nous !
Brave disciple[4] : si, au fond de toi, tu souhaites être en accord avec le Dharma,
Il ne sert à rien de faire de grands discours sur tous tes projets.
Qu’aurais-tu à gagner à fanfaronner ?
Étudie bien le fonctionnement de ton propre esprit ;
Chaque fois qu’une pensée toxique se manifeste,
Ne la laisse pas errer à sa guise, mais applique les antidotes.
À ce stade, celui des gens ordinaires,
Les émotions perturbatrices sont inévitables[5].
Il n’en reste pas moins important de couper court
À chacune d’elle, dès qu’elle pointe le bout du nez.
Quel que soit le type d’émotion perturbatrice qui s’élève,
Son antidote instantané consiste à reconnaître sa vacuité.
Il est enseigné que c’est là la méditation suprême.
Mais si tu n’en es pas encore là, tu peux méditer, par exemple,
Sur le dégoût pour remédier à la lubricité, sur l’amour pour soulager l’hostilité,
Et sur les catégories de l’interdépendance pour contrer la stupidité[6].
En somme, chaque fois qu’une mauvaise pensée survient,
Reconnais-la immédiatement ;
Coupe court tout ce qui fait irruption, et lâche prise.
Reconnais même tes activités neutres[7],
Comme l’artisanat et ainsi de suite,
Et fais-en un chemin vertueux.
Consacre-toi avec une confiance totale
À toutes les pratiques contemplatives du saint Dharma,
Et arme-toi d’une foi irréversible.
Tu dois acquérir la conviction à l’égard des Trois Joyaux.
Lorsque tu mets ton propre esprit à nu,
Que tu n’y vois toi-même rien de gênant et que tu n’as pas honte sous le regard
De ton maître, de la déité et des Trois Joyaux, ni de tes frères et sœurs adamantins,
Qu’importe si les autres te critiquent : tu n’as pas à t’inquiéter.
Pour contrer les pensées insidieuses qui se cramponnent aux expériences de cette vie,
Applique les quatre pensées qui orientent l’esprit[8].
À tout moment, cultivant ton état d’esprit,
Navigue en t’alignant sur
L’attention, la vigilance et la méticulosité[9] ;
C’est la pratique des Nobles.
Sans penser que les réflexions fondamentales qui orientent l’esprit
Sont insignifiantes ou sans importance,
Entraîne ton esprit à la vertu.
Examine les méfaits de tes poisons mentaux,
Et reconnais tes fautes.
Si tu ne disciplines pas ton propre esprit,
Les autres auraient beau te mettre au pas
Qu’il y aurait toujours des risques de conflit.
Réfléchis : peu importe ce que tu fais dans le saṃsāra,
Tu n’en ressens que souffrance,
Sans nulle chance de trouver le bonheur.
Entraîne ton esprit encore et encore
Au cœur authentique de la tristesse et du renoncement.
La portée de la vision des omniscients
Embrasse l’infaillible causalité karmique.
Regarde profondément ton esprit :
Fais-tu preuve de minutie à l’égard des choses à faire et à éviter ?
Si même un petit méfait
Peut te faire angoisser pendant des kalpas,
Alors, avec toute la négativité que tu as accumulée dans le saṃsāra sans commencement,
Comment peux-tu même parler d’accéder à une destinée heureuse ?
Ne gâche pas ton esprit
En t’attachant à du jargon sophistiqué sur la vacuité.
Le fondement et support de toutes les qualités,
Mine d’enseignements sur la voie et son fruit,
C’est le mentor spirituel qui t’aide sur la voie
Et que tu devrais combler de trois façons[10].
La différence entre un bouddhiste et un non-bouddhiste,
C’est le refuge ; c’est ce dont ils dépendent.
Il est important que tu prennes refuge avec confiance, de tout ton cœur,
Dans les Trois rares et sublimes Joyaux –
L’enseignant, la voie et tes compagnons sur la voie.
Il n’y a pas d’autre source de refuge
Qui protège des lieux redoutables et effrayants
Dans le malheureux désert du saṃsāra.
Le refuge décisif : voilà le seul véritable trésor.
Ta mère et ton père en ce monde,
Tes proches, tes amis, tes compagnons ?
Des liens qui t’attachent aux apparences de cette vie.
Sache qu’il est futile d’en dépendre.
Consacre ta vie tout entière au Dharma[11].
S’il n’imprègne pas ton esprit,
Rien ne sert de multiplier les quêtes spirituelles.
Guéshé Poutowa[12] a dit
Qu’au premier plan de tous les enseignements,
Se trouvent les contemplations sur la mort et la bodhicitta ;
Fais en sorte que ces deux éléments orientent ta conscience[13].
Ils t’aident à atteindre l’éveil omniscient
Pour le bien de tous les êtres, qui ont été tes mères.
Entraîne ton esprit de tous les angles
Pour développer sa qualité la plus merveilleuse :
La précieuse bodhicitta.
Il y a ceux à qui elle fait défaut, des pratiquants hypocrites,
D’allure noble et extérieurement assidus dans leur pratique,
Mais dont les pratiques de création et d’achèvement n’ont pas de cœur.
Ne ressemblent-ils pas à des zombies ?
Kyé ma ! De nos jours, en ces temps dégénérés,
Les gens s’attendent à trouver le Vinaya dans la couleur des robes ;
Ils prennent l’hypocrisie pour la bodhicitta,
Et l’exhibitionnisme pour les pratiques de création et d’achèvement[14].
Ne sois pas comme ces charlatans !
N’oublie jamais d’imaginer le maître exemplaire
Au-dessus de ta tête.
Si, animé de conviction et d’une dévotion intense,
Tu chantes de tout ton cœur pour invoquer la promesse sacrée
De cette véritable personnification de toutes les sources de refuge,
Ses bénédictions et sa compassion s’amoncelleront comme des nuages autour de toi.
Les expériences méditatives et les réalisations, et les qualités des voies et étapes[15],
Se développeront en toi comme la lune croissante.
Cette dévotion pure, suffisante en elle-même,
Est la source[16] de la vue, de la méditation et de la conduite de la Grande Perfection.
Le Bouddha Vajradhara en fait l’éloge
Parmi toutes les méditations des différentes voies.
Tendre enfant, dans le royaume du dharmakāya non né,
L’essence vitale du saṃsāra et du nirvāṇa[17] –
Ton véritable guru –
Est au-delà de la rencontre et de la séparation.
Je suis la pure présence éveillée sous la forme d’une illusion,
Une forme ultime qui naît spontanément[18],
Imprégnée des aspects suprêmes[19].
Adresse-moi des prières du fond de ton cœur !
Les guides spirituels sont des déités reflétant la nature de la réalité.
Prie le parfait dharmakāya-guru
Sans fixation puérile
Sur ce qui est proche ou loin ou apparemment réel.
Je suis toujours présent
Pour quiconque pratique avec dévotion.
Les disciples qui ont du mérite sont bénis ;
Les siddhis ordinaires et sublimes pleuvent sur eux.
Par conséquent, si tu maintiens la force vitale de la dévotion[20]
Et pratiques sans cesse pour t’unir au maître,
Il est certain que ta voie sera authentique,
Et que tu sauras y intégrer les conditions éprouvantes.
Ne néglige pas les grands livres sur les pratiques fondamentales[21] ;
Continue d’abandonner les distractions
Et médite sur les pratiques extraordinaires[22].
La nature de l’esprit est notre disposition naturelle : une présence éveillée nue et vide.
Non entachée par les pensées grossières ou subtiles,
Elle repose dans son état naturel, brut, inaltéré, limpide.
Observe la conscience naturelle, simple et laissée libre[23].
Avec la triple immobilité[24],
Médite dans le cadre des quatre laisser-être[25]
Qui sont les grands canaux de la perspective éveillée.
Exerce-toi toujours à la pratique
De l’absorption reposant en elle-même dans la nature innée.
À quoi la « vacuité » sert-elle ? C’est une construction mentale.
Les apparences ne nuisent à rien ; elles sont l’énergie dynamique du dharmakāya.
Dans la grande saveur unique de toutes choses,
Apprécie cette nature sans rejeter, accepter, espérer ou douter.
Que tu fasses l’expérience du calme ou de l’agitation, ou que ton esprit vagabonde, ça n’a pas d’importance.
Aussi libres qu’un dessin tracé sur l’eau,
S’élevant naturellement, libre naturellement, les limites conceptuelles s’estompent.
Puisque tout ce qui trouble l’esprit est vide, savoures-en la vacuité ! [26]
Je t’ai entièrement expliqué
Les pratiques fondamentales, jusqu’à la pratique principale.
Ne sombre pas dans la négligence. Avec attention et vigilance,
Entraîne-toi jusqu’à ce que la certitude baigne ton cœur.
Ne te laisse pas distraire ; plonge dans la pratique.
Et pour les fois où tu te retrouves dans la tourmente,
Sache que seul le Dharma et le maître
Peuvent t’offrir refuge et protection.
Tandis que tu profites de toutes les conditions favorables,
Consacre-toi sincèrement au saint Dharma.
Ne t’enorgueillis pas du prestige
Des héritages ou de la richesse. Sois modeste.
Ne sois pas immature et évite la naïveté ;
Comporte-toi de façon honorable.
Ne laisse pas une vue superficielle de la vacuité
Éclipser l’infaillibilité des causes et effets karmiques. Porte attention aux détails.
Ne pense jamais que l’amour, la compassion et la bodhicitta
Ont peu d’importance. Préserve-les dans ton continuum mental !
Concernant les attraits illusoires des apparences de cette vie,
Tu devrais faire fi des huit trivialités[27] comme d’un cadavre sur la route.
Le point clé des pratiques de la vue, de la méditation et de la conduite
Est de soumettre les émotions conflictuelles avec des antidotes.
Autrement, les discours creux à propos des sūtras et tantras
Sont comme le caquètement d’un perroquet.
Sois le juge de ton propre esprit,
Et veille toujours à ce qu’il reste pur.
Auparavant, tu t’es bien familiarisée
Avec les magnifiques paroles de la lignée de l’Omniscient[28].
C’est pourquoi, vénérable dame Chöying Wangmo,
Qui possède les quatre roues[29], tu m’as ici demandé conseil.
En guise de réponse, ces mots furent offerts par Péma Lédrel Tsal,
Dont la vie s’est écoulée dans la distraction,
Et qui a vaguement l’allure d’un mentor spirituel censé aider les autres.
Que grâce à la vertu qui en découle, les obstacles sur la voie de l’éveil
Soient levés pour l’infinité des êtres.
Je prie pour qu’ils aient toutes les circonstances favorables,
Et pour que les précieux enseignements des vainqueurs,
De même que les paroles éloquentes du maître omniscient[30],
S’épanouissent dans une centaine de directions !
Sarvadā kalyaṃ.
| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise de Joseph McClellan (2023, avec l’assistance de Ninjyed N.T.).
Bibliographie
Sources tibétaines
mkhan chen ngag gi dbang po. "mkhan chen ngag gi dbang pos chos dbyings dbang mo la gdams pa." In mkha' 'gro'i chos mdzod chen mo. Lhasa: Bod ljongs bod yig dpe rnying dpe skrun khang, 2017. Vol. 52: 349–353
mKhan po ngag dga'. "chos dbyings dbang mo la gdams pa." In gsung ʼbum ngag dbang dpal bzang. Chengdu: s.n., 1999. BDRC MW22946_501D97. Vol. 2: 51–58
Sources complémentaires (en anglais)
Dodrupchen Jigme Tenpe Nyima. “Advice for Hor Özer.” Translated by Adam Pearcey. LotsawaHouse.org, 2017. https://www.lotsawahouse.org/tibetan-masters/dodrupchen-III/advice-for-hor-ozer
_____ “Advice for Palseng.” Translated by Adam Pearcey. LotsawaHouse.org, 2015. https://www.lotsawahouse.org/tibetan-masters/dodrupchen-III/advice-for-palseng
Jigmed Lingpa. Yeshe Lama: From the heart Essence of the Vast Expanse of the Great Perfection, A Practice Manual for the Stages of the Path of the Original Conqueror. Translated by Lama Chönam and Sangye Khandro. Ithaca: Snow Lion, 2008.
Khamtrul Rinpoche III, Ngawang Kunga Tenzin. The Royal Seal of Mahāmudrā: Volume One; A Guidebook for the Realization of Coemergence. Translated by Gerardo Abboud. Boston: Snow Lion, 2014.
Kongtrul, Jamgön. The Treasury of Knowledge: Book Eight, Part Three; The Elements of Tantric Practice; A General Exposition of the Process of Meditation in the Indestructible Way of Secret Mantra. Translated by the Kalu Rinpoche Translation Group. Ithaca: Snow Lion, 2008.
Kretschmar, Andreas. Khenpo Kunpal’s Commentary on Shantideva’s Entering the Conduct of the Bodhisattvas, vol. 1. Andreas Kretschmar, 2004. Accessed Oct. 21, 2022. http://www.dzogchenlineage.org/bca/bca1comm.pdf
Martin, Dan. A History of Buddhism in India and Tibet: An Expanded Version of the Dharma’s Origins Made by the Learned Scholar Deyu. Boston: Wisdom Publications, 2022.
_____ . “Tibetan Vocabulary.” Accessed Oct. 21, 2022. https://sites.google.com/view/tibvocab/home
Ngawang Pelzang. A Guide to the Words of My Perfect Teacher. Translated by Dipamkara in collaboration with Padmakara Translation group. Boston: Shambhala, 2004.
_____ . Wondrous Dance of Illusion. Boulder: Shambhala, 2014.
Patrul Rinpoche. “Guide to the Stages and Paths of the Bodhisattvas.” Translated by Adam Pearcey. LotsawaHouse.org, 2007. Accessed Oct. 22, 2022. https://www.lotsawahouse.org/tibetan-masters/patrul-rinpoche/stages-and-path
_____ . The Words of My Perfect Teacher. Translated by Padmakara Translation group. Boston: Shambhala, 1998.
RigpaWiki. “Twellve Links of Dependent Origination.” RigpaWiki.org. Accessed Oct. 21, 2022. https://www.rigpawiki.org/index.php?title=Twelve_links_of_dependent_origination
Trungpa, Chögyam. The Future Is Open: Good karma, Bad Karma, and Beyond Karma. Boulder: Shambhala, 2008.
_____ The Rain of Wisdom. Translated by the Nālandā Translation Committee. Boston: Shambhala, 1980.
Tsele Natsok Rangdrol. Circle of the Sun: A Clarification of the Most Excellent of All Vehicles, The Secret and Unexcelled Luminous Vajra Essence. Translated by Erik Pema Kunsang. Hong Kong: Rangjung Yeshe Publications, 1990.
Windischgraetz, Michaela and Rinzin Wangdi. “The Black-Slate Edict of Punakha Dzong.” Thimphu: JSW Law Publishing, 2019.
Sources complémentaires (en français)
Cornu, Philippe, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme (Paris : Seuil, 2001).
Cornu, Philippe et Bressollette, Louise, Manuel de bouddhisme – Philosophie, pratique et histoire, tome III : Le bouddhisme Vajrayāna (Éditions Rangdröl, 2019).
Dodrupchen Jigmé Tenpé Nyima, « Conseils pour Palseng », traduit en français par Vincent Thibault sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey, LotsawaHouse.org, 2024. https://www.lotsawahouse.org/fr/tibetan-masters/dodrupchen-III/advice-for-palseng
Ngawang Palzang, Merveilleuse danse illusoire : Autobiographie de Khenchen Ngawang Palzang Eusèl Rinchen Nyingpo Péma Lédrel Tsal, traduit par Anne et Sarah Rinzin Benson du Comité de traduction Padmakara (Plazac : Padmakara, 2021).
Ngawang Palzang, Notes de mémoire sur le Chemin de la Grande Perfection, traduit par le Comité de traduction Padmakara (Plazac : Padmakara, 2014).
Patrul Rinpoché, Le Chemin de la Grande Perfection, traduit par le Comité de traduction Padmakara, deuxième édition (Plazac : Padmakara, 1997).
Version : 1.0-20241021
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Dans Wondrous Dance of Illusion (Ngawang Palzang, 2014, p. 219), Chöying Wangmo est mentionnée sous le nom de Jetsun Choying Wangmo comme une disciple du maître, sans autre renseignement à son sujet. C’est par ailleurs un nom courant pour une femme. À en juger par les instructions que Ngawang Palzang lui offre à la fin du texte, il s’agit clairement d’une élève qu’il estime et respecte. Elle ne semble pas être elle-même lama, et il est possible qu’elle ait été une pratiquante de la classe aristocratique. ↩
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Longchen Rabjam Drimé Özer. ↩
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Son maître-racine, Nyoshoul Loungtok Tenpai Nyima (1829–1901). Les deux derniers termes de son nom signifient « Soleil des Enseignements ». ↩
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Le terme utilisé est bu (« fils »), mais il peut très bien s’agir de l’abréviation de bu mo (« fille »). Il faut donc éviter de sauter aux conclusions en fait de genre, quand on voit ce mot. Ce qui prédomine est le côté affectueux (qu’on peut parfois rendre par « mon cher » ou « ma chère »). « Brave disciple » est notre proposition, certes un brin créative, pour une tournure épicène. ↩
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« Émotions perturbatrices » rend le terme courant nyon mongs (kleśa) : 1) l’ignorance ou l’aveuglément ; 2) la colère ; 3) l’orgueil ; 4) le désir ; 5) la jalousie. ↩
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« Interdépendance » (rten 'brel) est ici employé comme synonyme de « coproduction conditionnée », tel que l’explique la doctrine des douze liens des origines dépendantes. La compréhension de cet enseignement est le remède à la stupidité ou obscurité mentale (gti mug), termes parfois utilisés comme synonymes d’ignorance (ma rig pa). ↩
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Le terme « neutre » est ici employé pour lung ma bstan pa, qui signifie littéralement « non traité dans les écritures ». L’idée est que certaines activités ordinaires ne sont pas fondamentalement bonnes ou mauvaises mais dépendent d’autres facteurs pour devenir positives ou négatives. ↩
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Les quatre pensées ou réflexions qui orientent l’esprit (blo ldog rnam bzhi) sont des contemplations essentielles pour quiconque souhaite être un pratiquant sincère. Elles font toujours partie de la section des « préliminaires externes » ou « ordinaires » des ngöndro (sngon 'gro) ou pratiques préliminaires. Il s’agit de contemplations approfondies sur : 1) la chance inouïe offerte par une existence humaine dotée des dix libertés et des huit avantages ; 2) l’impermanence de la vie ; 3) les défauts du saṃsāra ; 4) les principes régissant les causes et effets. Khenpo Ngawang Palzang les présente dans la première partie de ses Notes de mémoire sur Le Chemin de la Grande Perfection. ↩
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Les trois termes ont des sens distincts. « Attention » (dran pa) fait référence à la présence d’esprit – un esprit qui, plutôt que de papillonner, reste avec l’objet sur lequel il s’est posé. « Vigilance » (shes bzhin) fait référence à la capacité qu’a l’esprit de rester alerte, ou à l’affût, pour protéger et rétablir son attention. « Méticulosité » (bag yod) a un sens éthique : il renvoie à l’esprit attentif et vigilant qui reste soucieux du bien et du mal au quotidien. Quant à l’expression rkya bar nas, qu’on trouve dans le vers précédent, Ringu Tulku Rinpoché explique qu’il s’agit de « manœuvrer entre les limites », ou entre (bar) des lignes droites (rkya). ↩
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Les trois façons de plaire au maître (mnyes pa gsum), en ordre croissant d’importance : 1) lui apporter un soutien matériel ; 2) lui rendre service ; 3) appliquer sincèrement les enseignements à notre propre esprit. ↩
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« Consacre ta vie tout entière au Dharma » rend la fameuse expression rang mgo nyi ma chos kyis thon/bton. Khenpo Chöga donne cette explication : « La phrase “consacre ton temps à la pratique du Dharma” (rang mgo nyi ma chos kyis bton) signifie “aussi longtemps que le soleil brille au-dessus de ta tête, consacre ton temps au Dharma” (rang gi mgo la dus tshod yod pa chos la 'bad stsol btang dgos). Atiśa disait que la vie est courte et que les champs de connaissance sont si nombreux qu’il est impossible de tous les connaître. Par conséquent, comme nous ne savons pas combien de temps il nous reste à vivre, nous ne devrions pas même essayer de tout étudier, mais plutôt utiliser notre temps à bon escient. Atiśa nous recommande d’être comme le cygne, dont on dit qu’il peut séparer le lait de l’eau. De la même façon, les pratiquants devraient pouvoir extraire des vastes enseignements du Dharma les points les plus essentiels de la pratique. » (Kretschmar, Drops of Nectar, p. 439). ↩
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Poutowa (ou Potowa) Rinchen Sel (1027–1105), l’un des trois disciples principaux de Dromtönpa, qui était le disciple principal d’Atiśa. ↩
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Une traduction approximative de gnyis po 'di la 'du shes (« deux + ces + pour + percevoir »). D’autres interprétations encore plus libres : « vois (toujours) les choses à travers ce double filtre », ou « veille à ce que ces deux éléments fassent partie intégrante de ta conscience (ou perception) ». Nous n’avons pas pu trouver cette citation dans la littérature kadam ; il s’agit probablement d’une paraphrase. ↩
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Comme l’explique Lochen Dharmaśrī, « La pratique tantrique est divisée en deux phases, l’étape de développement (ou création) et l’étape d’achèvement. Pour résumer, l’étape de développement implique de transformer les apparences impures en apparences pures et de méditer sur le cercle du maṇḍala. À l’étape d’achèvement, le but est de réaliser la sagesse de la félicité-vacuité. » Dharmaśrī ajoute que cette seconde étape peut elle-même être divisée en deux approches, l’achèvement conceptuel et l’achèvement non conceptuel. « À cette étape, on médite soit conceptuellement sur les énergies, les canaux et les essences, soit non-conceptuellement en s’absorbant dans la réalité… » Ju Mipham résume ainsi cette phase : « Toutes les différentes formes de pratiques d’achèvement provoquent l’apparence manifeste de la pure sagesse en amenant les énergies karmiques dans le canal central, bien que cela puisse se faire directement ou indirectement. » (Dharmachakra Translation Committee, Deity, Mantra, and Wisdom, p. 173). ↩
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Les voies et étapes ou niveaux des bodhisattvas. Les cinq voies sont 1) la voie de l’accumulation ; 2) la voie de l’application ; 3) la voie de la vision ; 4) la voie de la méditation ; 5) la voie où il n’y a plus rien à apprendre. Pour une introduction sur ces voies et sur les dix niveaux, qui sont plus complexes, voir Patrul, “A Brief Guide to the Stages and Paths of the Bodhisattvas”. ↩
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Le terme employé ici, gnas, revêt une grande variété de significations, dont « source », « arène », « environnement » et « site sacré ». ↩
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srid zhi : un terme signifiant toutes les possibilités de l’existence samsarique et de la paix du nirvāṇa. ↩
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Forme « qui naît spontanément », ou « née en co-émergence ». Le terme tibétain lhan skyes ou lhan cig tu skyes pa signifie « né(s) ensemble, en même temps ». Il est surtout utilisé dans les enseignements du Dzogchen et du Mahāmudrā pour décrire la simultanéité de l’apparence et de la vacuité d’un phénomène. ↩
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rnam pa kun gyi mchog ldan dang ldan pa (sarvākāravaropeta en sanskrit) : « Un terme technique important qui fait référence aux traits ou aspects des déités en sambhogakāya dans toute leur splendeur et leur gloire. » (Trungpa, Rain of Wisdom, p. 369) Plus spécifiquement, ce sont les « sept aspects de l’union » (kha sbyor yan lag bdun ldan) : « Ces sept aspects définissent les vertus des bouddhas en sambhogakāya. Selon Dilgo Khyentsé Rinpoché : “Quelles que soient les manifestations de royaumes, de palais ou de formes, et que leurs qualités soient paisibles ou courroucées, elles n’existent pas à un niveau grossier. Ce sont des formes vides (au sens de śūnyatā) dotées de toutes les qualités suprêmes. Par conséquent, on dit qu’un de leurs traits est d’être dépourvues de nature propre. L’esprit de ces bouddhas est entièrement rempli de la sagesse de la félicité-vacuité non duelle et inchangée. C’est pourquoi on dit qu’elles possèdent l’aspect de l’union. Leur corps, leur parole et leur esprit sont éternellement remplis de la saveur de la grande félicité, libre d’augmentation et de diminution. C’est là leur aspect de grande félicité. Dans le royaume et le palais, la figure principale et sa suite, les dévas et devīs, n’ont jamais connu la souffrance ; elles sont entièrement pourvues de toutes les bonnes qualités du saṃsāra et du nirvāṇa. Par conséquent, on dit qu’elles possèdent l’aspect de la jouissance complète. Leur sagesse de grande félicité est au-delà de la méditation et de l’après-méditation, de l’augmentation et de la diminution, sans changement ni cessation. Cet aspect est le fait d’être libre de toute interruption. Pour leur part, (ces bouddhas) parviennent à de telles vertus ; cependant, par compassion, ils prennent éternellement soin des êtres confus. C’est donc là un autre de leurs traits : le fait que leur esprit déborde d’une grande compassion. Enfin, leur activité éveillée apprivoise les êtres à chaque instant, dans les trois temps et dans toutes les directions. On dit donc qu’ils possèdent un aspect de continuité.” » (Trungpa, Rain of Wisdom, p. 342) ↩
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Une traduction plus littérale de l’expression tibétaine srog la bzung donnerait quelque chose comme « s’emparer de la force vitale ». ↩
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Il s’agit sans doute d’une exhortation à étudier et à contempler Le Chemin de la Grande Perfection de Patrul Rinpoché et le propre commentaire de Ngawang Palzang, Les Notes de mémoire sur Le Chemin de la Grande Perfection. ↩
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Les « pratiques extraordinaires » font ici référence aux pratiques préliminaires extraordinaires ou intérieures (thun mong ma yin pa'i sngon 'gro) : refuge, bodhicitta, Vajrasattva, offrandes de maṇḍala, guru-yoga, et offrandes du corps. Pour une explication détaillée, voir Le Chemin de la Grande Perfection et Les Notes de mémoire sur Le Chemin de la Grande Perfection. Les préliminaires communs ou extérieurs (thun mong gi sngon 'gro) sont « les quatre pensées qui orientent l’esprit » – les contemplations sur 1) la précieuse vie humaine, 2) l’impermanence, 3) les défauts du saṃsāra et 4) la causalité karmique) – de même que les contemplations sur les bienfaits de la libération et sur la façon de s’en remettre à un enseignant spirituel. ↩
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« Conscience naturelle » traduit ici une expression importante (particulièrement dans le Mahāmudrā), tha mal gyi shes pa, qui est plus souvent traduite par « esprit ordinaire ». Il nous semblait que le terme « esprit ordinaire » risquait d’être interprété à tort comme étant légèrement péjoratif alors que dans le contexte, il est totalement positif. Par ailleurs, dans le Dzogchen, il est question de la distinction entre la (pure) présence éveillée (rig pa) et l’esprit ordinaire (sems). Dans ce dernier contexte, « esprit ordinaire » a effectivement une connotation négative et évoque le fait de n’être pas éveillé. (Voir Dodrupchen, Conseils pour Palseng et Advice for Hor Özer.) Concernant « l’esprit ordinaire » que nous rendons ici par « conscience naturelle », le troisième Khamtroul Rinpoché écrit : « Ce qu’on appelle « l’esprit ordinaire et nu » (tha mal gyi shes pa rjen pa), inaltéré et non corrigé, est quelque chose que l’on a de façon inhérente dès l’enfance, à une époque où l’on n’est pas encore pris dans les pensées. On a atteint cet état, et l’on n’a pas besoin de s’activer conceptuellement pour essayer de le changer ou de l’améliorer. Nul besoin de nettoyer les défauts et contaminations des concepts faussés ou de s’employer aux purifications. » (Khamtrul, The Royal Seal of Mahāmudrā, 289) ↩
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La « triple immobilité » (mi g.yo gsum) ou les « trois facultés inébranlables ». Le Kalu Rinpoche Translation Group donne ces précisions : « Les trois facultés d’immobilité (mi g.yo gsum ldan) sont celles du corps, de la parole et de l’esprit. La première, celle du corps inébranlable (lus mi g.yo ba), fait principalement référence aux yeux, ni trop ouverts, ni trop fermés, maintenus d’une façon détendue et naturelle, et concentrés dans l’espace au-dessus du niveau des sourcils. On prend la posture de méditation et l’on abandonne toute autre activité physique. Pour la deuxième immobilité, celle de la parole (ngag mi g.yo ba), on applique les points essentiels de la parole tels qu’on les trouve dans les instructions sur les trois isolements. De même, pour la troisième faculté, celle de l’esprit inébranlable (yid mi g.yo ba), on applique les points essentiels concernant l’esprit selon les instructions sur les trois isolements. On concentre l’esprit précisément sur l’obscurité de l’espace au niveau où les yeux sont concentrés, et l’on demeure sans pensées. (Résumé de Tāranātha, Meaningful to Behold: Manual of Instructions on the Indestructible Yoga’s Profound Path, ff. 11b7-12b3) » (Kalu Rinpoche Translation Group, The Elements of Tantric Practice, 336n8). ↩
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Ou « quatre façons de reposer librement » (cog bzhag rnam bzhi). En anglais, Sangye Khandro et Lama Chönam traduisent cette expression par four modes of placement (« les quatre modes de placement »). Erik Pema Kunzang traduit quant à lui l’expression tibétaine par fourfold freely resting. En français, nous avons suivi Philippe Cornu, qui propose « les quatre laisser-être » (Manuel de bouddhisme – Philosophie, pratique et histoire, tome III : Le bouddhisme Vajrayāna, p. 262). Quoi qu’il en soit, dans Yéshé Lama, Jigmé Lingpa les explique ainsi : « A) Le placement dans la vue semblable à une montagne : une fois que vous avez réalisé la véritable nature – libre de pensées – telle qu’elle est, demeurez dans la grande présence éveillée, naturellement claire, qui n’est pas sujette aux efforts mentaux, à la saisie, ni au recours aux antidotes méditatifs intentionnels (pour contrer les concepts). B) La méditation semblable à l’océan : assoyez-vous en posture du lotus. Regardez l’espace, dans un état d’ouverture. Évitez de vous cramponner aux perceptions des six consciences. Libérez votre cognition, à l’instar de l’océan sans vagues. C) L’habileté dans les activités : relaxez d’un coup vos trois portes – corps, parole et esprit. Affranchissez-vous du cocon de la vue et de la méditation. Maintenez simplement et naturellement votre sagesse nue et claire. D) Le résultat inconditionnel : les cinq objets mentaux, laissez-les être, tout naturellement. Une vive clarté naturelle se fera alors jour en vous. » (Jigmed Lingpa, Yeshe Lama, p. 6.) Pour sa part, Tsélé Natsok Rangdrol écrit : « En tout temps, que ce soit le cœur de votre pratique. Appliquez-vous à 1) la vue de la montagne reposant librement – la réalisation inébranlable et la résolution dans l’état de l’espace et de la présence éveillée ; 2) la méditation de l’océan reposant librement – l’inséparabilité des apparences et de la vacuité, au-delà des concepts de fixation ; 3) l’instruction de la présence éveillée qui repose librement – la dissolution des couches de tendances habituelles et de la saisie illusoire en empoignant la chaîne du déploiement de la présence éveillée ; 4) la pratique de l’expérience reposant librement – la non-distraction de la nature (du jeu) de la sagesse perçue directement, laquelle n’est pas gouvernée par la léthargie et la torpeur, (ni par) l’agitation et la diffusion des pensées, et qui n’est pas non plus entravée par les expériences de félicité, de clarté et d’absence de pensées. » (Tsele, Circle of the Sun, p. 52). ↩
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Exceptionnellement, le mot « vacuité » est ici utilisé pour traduire gtan med (« inexistence absolue »), qui dans la littérature philosophique fait l’objet de critiques et de méfiance. Toutefois, dans ce vers, Khenpo Ngaga – qui joue peut-être sur les mots – dit à Chöying Wangmo de maintenir et de protéger la reconnaissance de la complète irréalité des remous mentaux. ↩
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« Huit trivialités » est ici synonyme de « huit préoccupations mondaines » ou « huit dharmas mondains » ('jig rten gyi chos brgyad), les fausses pistes qui nous portent à baser notre bonheur sur le gain et la perte, le plaisir et le déplaisir, la louange et le blâme, la renommée et la disgrâce. ↩
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L’Omniscient en question est Longchenpa. ↩
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Les « quatre roues » ('khor lo bzhi) sont les conditions propices à la pratique spirituelle : 1) vivre dans un pays favorable (thun pa'i yul na gnas pa) ; 2) pouvoir suivre un grand être (skyes chen bsten pa) ; 3) avoir de bonnes aspirations (rang nyid legs smon) ; 4) avoir accumulé des mérites (sngon bsod nams bsags pa). ↩
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C’est-à-dire Longchenpa. ↩