Conseils succincts
Conseils succincts
par Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö
Je m’incline aux pieds du glorieux Vajrasattva.
Le fait que nous ayons ce support avec ses libertés et avantages, si difficile à trouver, est dû à une vaste accumulation de mérites. Pourtant, bien que nous ayons pour l’instant cette forme humaine intacte, il nous sera difficile de retrouver une telle situation dans nos prochaines vies. Réfléchis-y bien. De plus, ce corps est fragile, composé et impermanent. Tout ce qui naît doit mourir, et personne ne sait si cela arrivera dans la jeunesse ou la vieillesse. Réfléchir au caractère imprévisible des circonstances de la mort t’aidera à tourner ton esprit vers le Dharma et à mener sa pratique à terme. Il n’y a pas de méthode plus profonde pour faire se lever les vents de la diligence et interrompre les activités qui ne concernent que cette vie-ci.
Quand la mort surviendra, on n’aura d’autre choix que de renaître parmi l’une ou l’autre des six classes d’êtres, où l’on fera l’expérience des souffrances générales du saṃsāra : la souffrance omniprésente [de l’existence] conditionnée dans les domaines supérieurs, la souffrance de la souffrance dans les trois domaines inférieurs, et la souffrance du changement dans les domaines célestes. Nous devons aussi réfléchir aux souffrances spécifiques, telles que la chaleur et le froid extrêmes des enfers.
La source de toute souffrance se trouve dans les cinq agrégats contaminés qui se perpétuent. Toutes les fautes y trouvent leur origine. Et leur cause principale, c’est la multitude des kleśas, que l’on peut tous ramener aux trois poisons. Sur la base d’objets plaisants, on ressent du désir ; sur la base d’objets déplaisants, on ressent de la colère ; sur la base d’objets neutres, on éprouve une morne indifférence. Les actions motivées par l’une ou l’autre de ces trois émotions peuvent essentiellement figurer dans la catégorie des dix actions non vertueuses. Sur cette base, s’efforcer de façon diligente, méticuleuse et irréprochable de faire ce qu’il faut faire et d’éviter ce qu’il faut éviter, c’est-ce qu’on appelle avoir une vue adéquate concernant les affaires de ce monde. Il importe de générer encore et encore la conviction dans le processus infaillible des causes et effets.
Une personne qui accumule les dix vertus du corps, de la parole et de l’esprit (qui sont les pendants des dix actions non vertueuses) pour atteindre le bonheur des dieux et humains est un être de capacité inférieure. Un être de capacité intermédiaire, śrāvaka ou pratyekabuddha, est quelqu’un qui accumule la vertu propice à la libération avec l’intention de s’extirper du saṃsāra et d’atteindre la paix et le bonheur pour lui seul. La voie des bodhisattvas, ces êtres de capacité supérieure, consiste à accumuler des actions menant à la libération au sens du Mahāyāna, motivé par le souhait d’aider tous les êtres. Parmi ces trois scénarios, c’est la voie des grands êtres que nous devons emprunter dans notre pratique.
Sur la base d’une noble motivation altruiste, entièrement préservée des préoccupations égocentriques, nous devons dédier toutes nos actions vertueuses du corps, de la parole et de l’esprit – qu’elles soient mineures ou majeures, avec ou sans référence conceptuelle – au bienfait direct ou indirect de tous les êtres dont le nombre est infini comme l’espace sans borne. Exprimez à cet effet des aspirations et prières spéciales, et cultivez une bienveillance et une compassion bouleversantes qui s’étendent universellement, comme l’espace.
De plus, cette attitude est naturellement vide de toute essentialité pour ce qui est d’un objet à générer, d’un agent qui le génère et d’un acte de génération. Pourtant, la production dépendante d’une telle expérience s’effectue sans obstruction. C’est ce qu’on appelle l’union de la vacuité et de la compassion, l’union des deux vérités, l’inséparabilité de la vacuité et des origines interdépendantes, l’union de la vacuité et des apparences, et ainsi de suite. Bien que de nombreux noms fassent référence à la même chose, on peut tout ramener au point crucial de l’union de la vacuité et de la compassion. C’est là, en fait, la véritable bodhicitta. C’est par ce moyen qu’on atteint le grand nirvāṇa qui évite les deux extrêmes de l’existence et de la quiétude.
Ici, la discipline consiste à méditer encore et encore sur l’entraînement de l’esprit à l’échange de soi et autrui, à développer la confiance dans les Trois Joyaux et une compassion intense envers les êtres, à aspirer à la conduite océanique des bodhisattvas, et à cultiver le souhait sincère d’être bénéfique aux autres. C’est d’une importance capitale. Il est essentiel que nous tentions de développer une motivation aussi précieuse – l’attitude de la bodhicitta – et que nous l’appliquions à tout acte vertueux que nous accomplissons, aussi grand ou minime soit-il.
Sur la base de ce point crucial, efforce-toi de compléter les accumulations et purifications associées aux préliminaires qui commencent par la prise de refuge. Consacre des efforts particuliers au mantra des cent syllabes, en l’associant aux quatre forces[1], et récite la Confession des transgressions, le Tantra de la confession immaculée, etcétéra.
Le guru-yoga est la source des bénédictions. Considère résolument que le maître-racine est un bouddha, et médite sur lui ou elle comme étant l’incarnation de toutes les sources de refuge. Remémore-toi la bonté qu’il t’a témoignée, et cultive la dévotion. Si tu t’exerces au guru-yoga, en commençant par une foi sincère, un [respect du] samaya et la détermination de supporter les difficultés, il ne fait aucun doute que les bénédictions se manifesteront.
Une fois que l’esprit a été purifié de la sorte par les préliminaires successifs, on peut appliquer de la façon suivante les points clés concernant la base, la voie et le fruit de l’union du Mahāmudrā et de la Grande Perfection. Pour dire les choses simplement, la nature de notre propre esprit est au-delà de la production, de la durée et de la cessation. Elle n’a pas de caractéristiques ou d’attributs réels, et elle transcende l’existence et l’inexistence, l’être et le non-être. Cette nature fondamentale de l’esprit, la présence éveillée dans laquelle clarté et vacuité sont unies, embrasse l’intégralité du saṃsāra et du nirvāṇa, et elle a toujours été totalement pure. C’est l’authentique condition de base, que l’on reconnaît comme la vue naturellement présente grâce à la combinaison des bénédictions du guru et de notre propre dévotion. Quand on se dépose dans l’expérience naturelle et authentique de cette présence éveillée ordinaire, libre des pensées relatives aux trois temps, non restreinte par la spéculation intellectuelle, non fabriquée, et sans artifice, il y a une attention naturellement présente et dépourvue de distraction. En même temps, elle est libre d’objet et d’acte méditatif, et l’on fait l’expérience d’une grande clarté naturelle – la sagesse de la présence éveillée qui est sans base, fondement ou origine, et sans objet. En essence, c’est inexprimable, inconcevable, indescriptible. Une telle expérience marque la phase où l’on cultive la voie. Quand on agit à partir d’un tel état, il n’y a ni acceptation ni rejet, et tout ce qui arrive ou se manifeste est d’un goût unique au sein de l’espace fondamental de la présence éveillée. Nul besoin de chercher ailleurs un antidote. Tout ce qui survient se libère de lui-même sans laisser de trace, comme le passage d’un oiseau dans le ciel. C’est là la forme ultime de conduite.
Grâce à un tel entraînement, nos propres qualités intérieures, que l’on n’a pas besoin de rechercher comme si l’on voulait atteindre un autre fruit, rayonnent extérieurement. Ces qualités océaniques ont toujours été naturellement présentes au sein de l’espace fondamental de la présence éveillée qui est la grande pureté vide et primordiale et la sagesse spontanée. C’est ce qu’on appelle le fruit ou la liberté ultime.
Maintenir la force vitale d’une telle voie est l’authentique « partie principale dénuée de référence »[2]. Il est également important de toujours sceller nos actions vertueuses avec une dédicace dépourvue de référence.
En bref, les thèmes clés des instructions sont les suivants : foi, renoncement, non-attachement[3], compassion, vacuité, bodhicitta, dévotion, samaya, génération et perfection, et repos naturel dans l’irréel sans attachement, ni artifice, ni saisie. Puisses-tu pratiquer en conséquence.
Ce guide extrêmement succinct fut composé pour répondre à la requête de mon élève Péma Tekchok. Les détails devraient se comprendre à la lumière des instructions des gurus du passé, comme on les trouve dans les chants de réalisation, les manuels, et ainsi de suite.
Par Chökyi Lodrö.
| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey (2022), qui remerciait la Khyentse Foundation et le Tertön Sogyal Trust pour leur généreux soutien.
Bibliographie
Édition tibétaine
'Jam dbyangs chos kyi blo gros. "zhal gdams mdor bsdus" In 'Jam dbyangs chos kyi blo gros kyi gsung 'bum. 12 vols. Bir, H.P. : Khyentse Labrang, 2012. (BDRC W1KG12986). Vol. 8 : 359–364.
Version : 1.0-20240402
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Les quatre forces (stobs bzhi) de la pratique de la confession sont : 1) la force du support ; 2) la force de l’antidote ; 3) la force du repentir ; 4) la force de la retenue (ou conduite). ↩
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C’est-à-dire le deuxième des trois nobles principes. Voir Les trois nobles principes de Khenpo Shenpen Nangwa. ↩
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zhen log est parfois traduit par « dégoût ». ↩