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ISSN 2753-4812
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Conseils pour Hor Özer

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Conseils pour Hor Özer

par Jigmé Tenpé Nyima

On ne peut indiquer ta propre nature avec des concepts ;
C’est la réalité authentique de toutes choses animées et inanimées,
L’unique signification essentielle de l’océan des diverses classes de tantras.
En reconnaissance de cette essence du maître glorieux, je m’incline.

Toi qui es plein de dévotion pour le Dharma de l’Essence adamantine,
Le véhicule suprême, tu m’as posé des questions.
Je doute que mes maigres capacités mentales suffisent pour y répondre,
Mais je dirai tout de même quelques mots en me basant sur ceux de mon maître.

En général, les profondes caractéristiques des instructions du Dzogchen sont illimitées. Le Trésor des précieuses qualités en enseigne toutefois le point fondamental :

La pure présence éveillée qui transcende l’esprit ordinaire
Est la caractéristique spéciale de la Grande Perfection naturelle.

Le point clé, donc, est la distinction entre l’esprit ordinaire et la pure présence éveillée. Ce que tu as écrit est tout à fait en accord avec ce point essentiel et adhère donc aux paroles des saints du passé. Je m’en réjouis !

« Présence éveillée authentique » et « esprit de claire lumière adamantine » sont des synonymes. C’est attesté dans tous les tantras de la classe des mantras insurpassables – il n’y a rien qui n’y soit expliqué. Dans de nombreux systèmes de méditation, on reconnaît la claire lumière uniquement au moment où la conceptualisation prend fin, en s’en remettant aux instructions pour amener l’esprit-prāṇa dans le canal central. Dans la tradition dont nous parlons ici, cependant, la reconnaissance se produit directement, au cœur même de la conceptualisation, en partant du principe que la claire lumière se trouve même là, à l’image de l’huile présente dans la totalité d’une graine de sésame. Il y a aussi une différence majeure dans les façons de maintenir cette reconnaissance. Il s’ensuit qu’il y a aussi une grande différence dans le degré et la durée de l’effort requis pour accomplir la sagesse suprême.

Il y a de nombreuses façons d’introduire la conscience naturelle du moment présent, ou la pure présence éveillée immédiate et non fabriquée. Le commentaire du Précieux trésor du dharmadhātu en présente par exemple sept. Ici, je m’en tiendrai à la méthode d’introduction fondée sur la vue de la vacuité.

Dans d’autres approches, une fois qu’on a déterminé que notre esprit est au-delà de l’apparition, de la durée et de la cessation, on se focalise sur cette vacuité, sans permettre à l’esprit d’être distrait de la conclusion à laquelle on est parvenu. Pratiquer de la sorte, c’est méditer. Néanmoins, ici, nous ne pratiquons pas de cette façon. Plutôt, nous scrutons l’arrivée, le maintien et le départ de l’esprit pour éradiquer tout point focal impliquant un objet et un sujet. On ne trouve rien du tout à quoi on pourrait se raccrocher en disant, « le voilà ! ». Et, dans cette expérience, s’élève un état de présence éveillée naturellement présente, non fabriquée, claire, vide, et libre de la prolifération et de l’absorption des pensées. C’est ce qu’on appelle la « pure présence éveillée de la quatrième partie délestée des trois ». Se déposer dans cette expérience même, de façon détendue, non entachée par le moindre artifice ou la moindre altération, c’est certainement ce à quoi fait référence l’instruction « dépose-toi dans la présence éveillée sans fondement, ô yogi ! ».

De plus, la recherche des défauts cachés de l’esprit à l’étape des préliminaires et l’introduction de la présence éveillée sur la base d’une telle investigation ne doivent pas entrer en contradiction. Ce point est évident dans les ouvrages de l’omniscient Seigneur du Dharma (Longchenpa), de Terdak Lingpa, et d’autres encore.

Je dois rectifier ton affirmation comme quoi « on détermine que tous les aspects de l’esprit sont la présence éveillée ». Tous les aspects de l’esprit se manifestent comme l’expression naturelle [ou le jeu spontané] de la présence éveillée, mais ils ne sont pas la présence éveillée en tant que telle. Autrement, ce qu’on appelle la distinction entre l’esprit ordinaire et la pure présence éveillée reviendrait à une distinction entre pure présence éveillée et pure présence éveillée !

Tu as demandé : « Une fois qu’on a déterminé que tous les objets et états d’esprit sont l’expression de la présence éveillée, les émotions perturbatrices et les pensées conceptuelles peuvent-elles toujours nous enchaîner même si elles ne diminuent pas ? »

À de telles questions, on peut répondre qu’en général, la claire lumière a plusieurs degrés de puissance. Initialement, même si tu n’es pas distrait de la pure présence éveillée, diverses pensées vertueuses et non vertueuses continueront de se produire en grand nombre, comme autant de vagues sur l’eau. Même si elles se produisent de la sorte, tu ne dois pas t’écarter du point de repos naturel, la sagesse de la pure présence éveillée. [Avec le temps], la force qui s’en dégage fait en sorte que même si les pensées conceptuelles surgissent au premier instant, elles ne se poursuivent pas l’instant d’après ; plutôt, elles se dissolvent directement dans la sphère authentique de la claire lumière, sans ligoter le continuum mental.

La raison pour laquelle les pensées conceptuelles ne lient pas l’esprit n’est pas simplement qu’elles ne se poursuivent pas au second instant. Ça relève plutôt du point clé consistant à appliquer le sceau de la réalisation de la claire lumière aussitôt qu’une pensée se manifeste, au premier instant.

Après tout, il est dit que même les mantrikas qui s’en tiennent à la phase de génération appliquent le sceau du yoga de la déité à toutes les perceptions et activités, et qu’ils transforment ainsi ce qui serait des actions neutres, comme se déplacer, marcher, s’asseoir, et ainsi de suite. Ils créent ainsi de fabuleuses occasions de procéder à la double accumulation à l’aide de mantras, de mudrā et d’autres moyens apparentés. De toute évidence, un principe analogue s’applique ici.

Toutefois, sans se déposer directement dans la pure présence éveillée, se dire tout bonnement que tout ce qui survient est l’expression naturelle de rigpa ne procurera pas même un semblant de véritable confiance dans la libération naturelle. On tomberait alors dans le piège de l’illusion, sous l’effet du karma et des toxines mentales, comme le premier venu.

Tu as aussi demandé si les perceptions dualistes doivent s’estomper dans un tel équilibre méditatif, et si l’on peut reconnaître la pure présence éveillée de la Grande Perfection avant l’effacement de la perception dualiste.

Quand on parvient à la haute réalisation des quatre visions, toutes les élaborations de la perception dualiste se pacifient effectivement pendant l’équilibre méditatif. Néanmoins, ça n’arrive pas dans toutes les formes de méditation sur la pure présence éveillée de la Grande Perfection. On peut le comprendre à la lumière de ce que j’ai dit plus haut, comme quoi il y a une gradation dans la force de la claire lumière.

Tu as aussi dit : « J’ai entendu, de la part d’une tradition orale, que si on médite en soutenant la continuité de l’attention (dran pa), vient un moment où se manifeste une sorte d’attention qui est une caractéristique de la pure présence éveillée proprement dite. Je n’ai toutefois pas creusé la question. Qu’en est-il ? »

La concentration ordinaire par laquelle on repose l’esprit a une composante de tranquillité, mais elle est faible puisqu’elle implique un support temporaire. Par contraste, la concentration de la pure présence éveillée reposant en elle-même est une propriété innée de la nature authentique, et elle n’est donc pas séparée du « flot » de la dharmatā, comme l’enseignent Le Précieux trésor du véhicule suprême et Le Char menant à l’omniscience. Cela signifie qu’il n’y a pas de rappel délibéré d’un objet d’attention – autrement dit, pas d’« attention conditionnée » – au sein de la pure présence éveillée proprement dite. Plutôt, il y a une attention naturellement présente et dénuée d’effort ; une attention intrinsèque, dirions-nous, et non fabriquée. En d’autres termes, la claire lumière est maintenue et il y a ce qu’on appelle une « attention véritable qui empêche de se perdre dans les expressions de la présence éveillée ». Cette sorte d’attention advient quand la pure présence éveillée est rendue manifeste par la force de la méditation ; elle survient spontanément, comme l’éclat qui accompagne l’or. Tant que tu dois dépendre d’une attention cultivée délibérément, tu n’as pas transcendé la dimension de l’esprit ordinaire. Ça n’empêche toutefois pas de maintenir l’essence de la présence éveillée par le biais d’une forme d’attention conditionnée en vue de susciter l’attention authentique. Comme l’explique Le Précieux trésor des instructions essentielles, « les débutants parviennent à l’absence de distraction par le biais d’une application délibérée ».

Tu as demandé : « Quand une personne qui pratique cette voie vient à mourir, comment les étapes de dissolution se produisent-elles ? Est-il nécessaire de s’orienter et de se propulser au préalable ? »

Les diverses étapes de la dissolution allant de la dissolution de l’élément terre dans l’élément terre, jusqu’à la dissolution de la conscience dans l’espace, de l’espace dans la claire lumière, de la claire lumière dans l’union, de l’union dans la sagesse, et de la sagesse dans la présence spontanée, de même que la façon dont cette dernière s’absorbe au bout du compte dans la sphère intérieure, sont enseignées de manière claire et détaillée dans Le Précieux trésor du véhicule suprême, et de manière résumée dans Yéshé Lama ; je t’invite donc à les consulter. Plusieurs personnes se sont exprimées sur la question de savoir si les trois expériences appelées apparence, accroissement et accomplissement doivent se produire tel qu’elles sont décrites dans d’autres tantras. En fait, la pure présence éveillée de ce système est identique à la sagesse de la claire lumière. Donc, la claire lumière qui se manifeste à la conclusion des trois expériences en question est la véritable et pure présence éveillée de la Grande Perfection. N’empêche, il n’est pas certain que la pure présence éveillée de la Grande Perfection se manifestera précisément selon les descriptions des phases d’apparence, d’accroissement et d’accomplissement. En effet, il semble y avoir des variations dans la façon dont la claire lumière se manifeste, selon les caractéristiques personnelles de chaque individu. On trouve donc des enseignements portant sur diverses étapes de dissolution dans d’autres tantras cachés (ou obscurs), dans le Kālacakra, et ici.

Pour les adeptes de cette tradition du Dharma, les étapes de dissolution au moment de la mort sont conformes à ce qu’on a esquissé plus haut. À ce moment-là, l’orientation préalable importe. « Une transmission intégrale, comme pour un voyageur qui s’apprête à franchir un col de montagne », signifie que le mourant reçoit des instructions sur les bardos de la part de son enseignant ou d’un frère ou d’une sœur de vajra, et que ces instructions sont clairement exprimées. Cela signifie aussi de mourir en ayant la certitude qu’il faut retenir ces instructions sans les oublier dans l’état intermédiaire.

Tu m’as aussi demandé d’expliquer en termes simples la façon d’agir avant d’entrer en équilibre méditatif, pendant la pratique principale, et après.

Quelle que soit l’activité vertueuse à laquelle tu t’adonnes, il faut d’abord éliminer les distractions mondaines. C’est particulièrement important quand on pratique la Grande Perfection. Tu dois te détacher des activités – qu’elles soient ou non dharmiques –, mettre complètement de côté toute forme d’agitation, et t’employer aux méthodes pour ralentir et pacifier les vents ou énergies karmiques.

Pendant l’équilibre méditatif proprement dit, tu dois d’abord mettre à nu la pure présence éveillée. Alors, dépose-toi tout naturellement, sans essayer d’ajuster, de transformer, de rejeter ou d’adopter quoi que ce soit. Si des pensées se manifestent, ne les encourage pas, mais reste ancré dans la présence éveillée – c’est là un point crucial. Quel que soit le type d’expérience positive ou négative qui survienne – et même s’il s’agit de félicité, de clarté ou d’absence de pensées –, dès que tu poursuis cette expérience en portant un jugement, tu t’es éloigné du havre naturel de la pure présence éveillée, et tu t’es déjà perdu dans ses expressions créatives. Comme je l’ai dit plus haut, tu dois comprendre à quel point il est important de simplement permettre à la présence éveillée de se reposer sans support.

Il y a une différence entre la pure présence éveillée pendant l’équilibre méditatif et dans l’après-méditation. Un miroir peut être taché ou impeccable. Cependant, il n’y a pas de différence dans la façon dont on maintient la pure présence éveillée. Comme l’a dit Patrul Rinpoché, « nulle différence entre méditation et après-méditation. »

Quand perdure la confusion consistant à se cramponner à la réalité des apparences objectives, la conscience tombe sous la férule des apparences. Alors, les ennemis – qui incluent le karma et les émotions perturbatrices, l’attachement, l’aversion et ainsi de suite – sont vainqueurs. Si tu ne perds pas le fil de l’expérience continue de la pure présence éveillée, la totalité de ton champ d’expérience se dévoilera comme le rayonnement naturel de rigpa, et tu parviendras graduellement à la « chaleur » de la discipline yogique.

Tenpé Nyima a tout de suite écrit ces quelques mots pour Hor Özer, qui incarne la foi, la dévotion et la diligence. Vertu !


| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey (2017).


Bibliographie

Édition tibétaine

'jigs med bstan pa'i nyi ma. "hor 'od zer gyi ngor gdams pa/" in rDo grub chen ’jigs med bstan pa’i nyi ma’i gsung ’bum. 7 vols. Chengdu: Si khron mi rigs dpe skrun khang, 2003. TBRC: W25007, vol. 2: 110–117


Version : 1.0-20241129

Dodrupchen Jigme Tenpe Nyima

Le troisième Dodrupchen

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