Commentaire du Sūtra du cœur
Déchiffrer le sens tantrique du Sūtra du cœur de la sagesse[1]
par Śrī Siṃha
Hommage au bienheureux Vairocana et aux bouddhas.
Hommage aux deux mères[2].
Hommage au saṅgha, la suprême assemblée.
Je prends refuge en vous tous!
Afin que l’on prenne soin des êtres,
Et qu’ils ne soient jamais dissociés de la compassion,
Je vais extraire le sens du sūtra des trois transmissions[3]
Dans la perspective des secrets mantras.
Ces explications, elles sont pour les personnes excellentes
Jouissant d’une bonne fortune,
Et non pour ceux et celles qui se cramponnent à la logique.
Les premiers mots du sūtra, « voici ce qu’une fois j’ai entendu », évoquent le contexte historique de l’enseignement. Cette formule révèle que l’enseignement a pris place en une occasion unique et bien précise, et qu’il ne s’agit pas de l’expression d’une cognition immédiate et personnelle, mais qu’il a été entendu de quelqu’un d’autre. Ces mots suggèrent également que le compilateur avait des compétences avérées en fait d’écoute et de mémorisation. « Temps » fait ici allusion au moment particulier où les disciples du Bouddha s’étaient réunis. Plus précisément, l’expression « une fois » souligne que l’enseignement ne fut pas prodigué à répétition ou étalé sur plusieurs séances : il fut offert une fois, alors que tous les disciples principaux étaient présents.
« Le Bienheureux » est une épithète renvoyant à notre enseignant. En général, un Bienheureux[4] est une personne qui a conquis les quatre māras ou démons, maîtrisé les six perfections et transcendé toutes les méprises. À un niveau plus profond, le terme implique la conquête de tout ce qui apparaît et tout ce qui existe – tels que les cinq agrégats – au sein de l’état de la déité. Ultimement, un Bienheureux conquiert sans effort tous les phénomènes du saṃsāra et du nirvāṇa dans leur nature essentielle. Il détient donc la grande sagesse qui se connaît elle-même. Puisque cette sagesse n’a pas d’existence essentielle, le Bienheureux a transcendé toutes les limites de la perception dualiste et atteint le stade où il ne reste même plus le moindre concept de « saṃsāra » et « nirvāṇa ».
« Au pic des Vautours de Rājgṛha » indique le lieu où l’enseignement fut offert. Le site extérieur était le pic des Vautours, qui ressemble à une montagne de joyaux, à Rājgṛha, partie orientale du Magadha, domaine du roi Bimbisāra. Il est dit que tous les bouddhas résident sur ce pic dont la forme circulaire évoque un stūpa; c’est donc la plus noble de toutes les montagnes. Le site intérieur de l’enseignement est Akaniṣṭha (« Inférieure à aucune autre »), ainsi nommée parce qu’elle ne tombe pas sous le joug de la forme, des caractéristiques ou de la saisie. Le site secret de l’enseignement est la présence éveillée elle-même, le cœur de l’esprit d’éveil – le site contenant l’entièreté du saṃsāra et du nirvāṇa.
La phrase suivante, « entouré d’une grande communauté de moines et d’une vaste assemblée de bodhisattvas », décrit l’assemblée présente au moment de l’enseignement. L’assemblée externe est constituée de moines qui, intéressés et mûs par une noble aspiration, se rangent du côté des qualités vertueuses; d’une grande communauté qui pratique la méditation, maintient la vue et aspire à l’idéal du bodhisattva; et de bodhisattvas qui ont le pouvoir d’aider les autres. Avec d’autres êtres encore, ils forment tous ensemble un cortège unifié. Le cortège intérieur est quant à lui constitué des êtres en saṃbhogakāya, comme les bouddhas des cinq familles. Le cortège secret est l’essence indivisible de la sagesse qui se connaît elle-même. Le Dharma devrait être enseigné dans une telle situation. Il peut d’ailleurs lui aussi être divisé en niveaux externe, interne et secret. Le Dharma extérieur est celui auquel on doit s’entraîner – les dix actes vertueux, par exemple. Le Dharma intérieur est celui du Mahāyāna. Le Dharma secret, c’est la sagesse de la présence éveillée.
« Le Bienheureux entra alors dans l’état de recueillement appelé “Profonde perception”, portant sur les catégories de phénomènes. »
Cela signifie qu’alors, les cinq excellences[5] étant présentes et le moment étant venu de faire s’épanouir l’assemblée, le Bienheureux est resté sans focalisation conceptuelle dans un état de recueillement [ou absorption] portant sur les catégories de phénomènes – c’est-à-dire externes, internes et secrets. Il perçut ainsi le sens profond, l’inexistence de phénomènes réels; en d’autres mots, la profonde vacuité. Le recueillement externe est supporté par les choses concrètes, l’interne est dépourvu d’entités, et le secret ne fait pas de telles distinctions.
Le texte continue :
« Au même moment, le bodhisattva, le grand être, le noble Avalokiteśvara, contemplait la pratique de la profonde connaissance transcendante, et vit que les cinq agrégats étaient vides de toute essence. »
Alors que notre enseignant demeurait de son côté dans l’état de la dharmatā, Avalokiteśvara – le plus éminent parmi son entourage – en vint lui aussi à reposer dans ce même état. Au niveau externe, « bodhisattva » fait référence à une personne qui suit les étapes de l’entraînement; intérieurement, à ceux qui cheminent sur les dix bhūmis. Secrètement, c’est une référence à l’essence même du cœur. Celui qui incarne ces trois niveaux est appelé « grand être ». Autrement, on peut aussi considérer que « bodhisattva » évoque la maîtrise pour son propre bien et « grand être », la maîtrise pour le bien des autres.
En général, « noble » fait référence à celui ou celle qui a surpassé les perturbations mentales et s’est extirpé du bourbier du saṃsāra. À un niveau plus profond, cela renvoie au cortège du saṃbhogakāya, et ultimement, à l’essence de la présence éveillée, le dharmakāya.
Avalokiteśvara, ou « le seigneur qui voit », a réalisé le sens ultime, ce qui lui a permis d’accomplir son propre bien. Il regarde (avalokita) désormais les autres pour leur prodiguer des bienfaits, ce qui souligne sa capacité d’enseigner aux disciples de toute inclination. Par conséquent, c’est le seigneur (iśvara) à la fois de soi et d’autrui, ou du saṃsāra et du nirvāṇa. Voilà le sens de son nom.
La connaissance des écritures permet d’enseigner les voies du saṃsāra et du nirvāṇa, et la connaissance issue des raisonnements permet d’en élucider le sens ultime. Avec la connaissance au-delà des références, on ne fait pas la moindre distinction, où que ce soit, et l’on passe au-delà du saṃsāra. On passe aussi au-delà de la libération de la souffrance – le nirvāṇa –, si bien que la compassion jaillit naturellement. Cette perfection de la sagesse, ou « connaissance transcendante », est profonde. Pourquoi? Parce que son essence ne peut être pointée du doigt; parce qu’elle est difficile à enseigner; et parce qu’elle transcende les causes et conditions. La pratique revient à en comprendre la signification : il s’agit de regarder la réalité, encore et encore, sans la moindre focalisation conceptuelle.
L’objet à regarder, ce sont en fait les agrégats. On en dénombre cinq. De façon générale, ces cinq agrégats sont la forme, la sensation, la perception, les facteurs de composition et la conscience. À un niveau plus profond, les cinq agrégats sont les bouddhas des cinq familles, et les cinq qualités des cinq agrégats sont les cinq sagesses insurpassables. Ainsi, en essence, les cinq agrégats sont purs. Les contempler intellectuellement comme étant purs, c’est ce que font les apprenants. En venir à voir naturellement cette pureté, c’est réaliser le sens.
Le sens véritable qu’il faut ici comprendre, c’est la qualité vide de la réalité. Il ne s’agit pas d’une vacuité dépendante, c’est-à-dire de l’absence d’une chose au sein d’une autre. La vacuité de l’inexistence est comme l’essence de la présence éveillée, et ainsi de suite; la vacuité issue de la quadruple destruction se rapporte à la plus subtile particule de matière; et la vacuité naturelle est le sens essentiel, l’absence de toute entité réelle et de focalisation conceptuelle. Parmi celles-ci, c’est la sagesse au-delà des références conceptuelles qu’évoque [ici le verbe] voir.
Vient ensuite la question que Śāriputra pose à Avalokiteśvara :
« Alors, inspiré par le pouvoir du Bouddha, le vénérable Śāriputra s’adressa au bodhisattva mahāsattva, au noble Avalokiteśvara, et lui demanda : “Comment devrait s’entraîner un fils ou une fille de noble famille qui souhaite pratiquer la profonde prajñāpāramitā ?” »
Le texte précise « par le pouvoir du Bouddha » puisque c’est grâce au pouvoir du Bouddha Śākyamuni qu’Avalokiteśvara fut libéré et que Śāriputra trouva le courage de poser sa question. Śāriputra est vénérable ou « jeune » parce qu’il a atteint l’état immortel de la jeunesse perpétuelle, libre de la naissance et de la mort. « Fils ou fille de noble famille » fait référence à ceux et celles qui ont complètement abandonné tout autre famille ou statut et rejoint la famille du Bouddha Śākyamuni. Enfin, la question fut posée pour le bien des êtres.
La question, la voici : si un fils ou une fille de noble famille qui aspire au Mahāyāna souhaite pratiquer la profonde signification de la perfection de la sagesse de l’inobservable, à l’instar d’Avalokiteśvara, comment cette personne devrait-elle s’entraîner? À quelles méthodes devrait-elle avoir recours?
Pour reprendre les mots du texte : « Voici ce que le noble et grand bodhisattva Avalokiteśvara répondit au vénérable Śāriputra. » L’enseignement commence alors.
« “Ô Śāriputra, le fils ou la fille de noble famille qui souhaite pratiquer la profonde perfection de sagesse doit considérer les choses ainsi […]” ». Autrement dit : « ceux et celles qui aspirent à intégrer la famille du Mahāyāna, qui souhaitent suivre mon exemple et pratiquer la sagesse au-delà des références, devraient s’entraîner de la sorte… »
« “Il lui faut voir que les cinq agrégats sont vides, dénués de nature propre.” »
« Puisque les cinq agrégats ordinaires et ainsi de suite sont primordialement vides, ils doivent être considérés comme étant vides [c’est-à-dire dépourvus] de nature [propre] – exactement comme moi, Avalokiteśvara, je les vois! » C’est ce que dit le noble bodhisattva pour inspirer la foi et la confiance.
La phrase suivante, « les formes sont vacuité », indique qu’en essence, la forme a pour nature la vacuité. « La vacuité, ce sont les formes » signifie que grâce à la qualité incessante de la présence éveillée, la vacuité elle-même apparaît sous des aspects formels.
« La forme n’est autre que la vacuité » indique qu’en dehors de cette forme vide, il n’est pas le moindre phénomène du saṃsāra ou du nirvāṇa qui puisse apparaître – nulle forme qui apparaisse en dehors de la qualité incessante de la vacuité.
Le texte mentionne ensuite explicitement les autres agrégats. Tout comme la forme ne s’écarte pas de ce qu’on vient d’évoquer, on doit comprendre qu’il en est de même de la sensation, de la perception, des facteurs de composition et de la conscience.
Le texte reprend : « “Par conséquent, Śāriputra, tous les dharmas sont vacuité.” » On explique à Śāriputra que puisque tout dans le saṃsāra est à l’instar de la forme – vide et dépourvu d’existence concrète – il s’ensuit que tous les phénomènes du nirvāṇa sont eux aussi naturellement vides. Pour expliquer le sens de cette vacuité, on dit qu’elle est dépourvue de caractéristiques propres à la forme ou à la vacuité, et qu’elle est non produite par des causes ou conditions. Sa qualité essentielle est d’être non entravée : rien ne peut la contraindre. Elle n’est pas souillée par quoi que ce soit. Depuis l’origine, elle n’a jamais succombé à la fixation subjective ou objective. Elle n’est également pas non souillée. Cette signification essentielle ne peut jamais être diminuée par les conditions, ni augmentée par quelque cause que ce soit.
« “Par conséquent, Śāriputra” », il n’y a rien à pratiquer ou à maîtriser en dehors de cette vacuité qu’on doit contempler. Puisque la forme elle-même est vacuité, la sensation, la perception, les facteurs de composition et la conscience sont tous également non duels. De même, les cinq facultés sensorielles – l’œil, l’oreille, le nez, la langue et le corps –, les cinq processus perceptuels et leurs cinq objets – formes visibles, sons, odeurs, goûts et textures – sont tous introuvables. Depuis l’élément de l’œil jusqu’à l’élément de la conscience mentale, il n’y a pas de distinction.
De la même façon, au sein de cette signification essentielle, il n’y a pas d’ignorance et donc pas de cause menant à l’extinction de l’ignorance. Pas de vieillesse ni de mort dans cette essence vide, et donc, pas d’épuisement des maillons interdépendants [liant] naissance, vieillesse, maladie et mort. De même, il n’y a pas de souffrance façonnée par les cinq poisons, et l’état dominé par les émotions destructrices[6] n’a pas d’origine. Il n’y a donc pas de cessation de la souffrance qui mènerait à la félicité. De plus, puisqu’il n’y a pas d’entités à pratiquer dans le saṃsāra, il n’y a pas non plus de chemin menant au nirvāṇa, et pas plus de voies sur lesquelles cheminer par l’entraînement ou de bhūmis à traverser.
Il n’y a pas les cinq sagesses conventionnelles, puisqu’il n’y a pas de fruit à atteindre en dehors de cette signification essentielle. Puisque les cinq sagesses ont toujours été présentes en elles-mêmes et par elles-mêmes, il n’y a pas plus de raison de ne pas l’atteindre.
« “Ainsi, Śāriputra, puisque les bodhisattvas n’ont pas de fruit à atteindre, ils s’en remettent à la prajñāpāramitā et s’y établissent.” »
Ici, on explique à Śāriputra que puisqu’il n’y a pas de cause de réalisation en dehors de la voie, il n’y a pas non plus de réalisation en dehors du fruit. Ainsi, comme la perfection de sagesse est au-delà des références, on l’appelle « le dharma intégral de l’essence ». Le résultat, alors, est de s’en remettre à cela exactement et de s’y établir!
« “L’esprit libre de tout obscurcissement, ils ne craignent rien. Ils transcendent totalement les méprises et accèdent au nirvāṇa ultime.” »
Ce passage montre que la véritable réalisation demeure en elle-même et par elle-même, et qu’il n’y a rien d’autre que ce fruit[7]. Ainsi, l’esprit est sans facteurs d'obscurcissement; et puisqu’il n’y a rien à atteindre ailleurs, il ne s’y trouve pas non plus de peur attribuable à des doutes. Tous les modes de connaissance erronés sont transcendés, toutes les cognitions rigides du saṃsāra se sont défaites; et donc le nirvāṇa, c’est-à-dire l’état de la bouddhéité totale, est atteint.
« “Tous les bouddhas des trois temps parviennent à l’éveil complet, authentique et insurpassable au moyen de la prajñāpāramitā.” »
Avalokiteśvara expose ici l’unique cause du résultat – car n’allons pas penser que la réalisation soit dénuée de cause. Les bouddhas du passé, de l’avenir et du présent s’en remettent à l’inobservable; ils n’ont pas d’autre objet que l’état insurpassable de tous les bouddhas. Ils ont parfait l’authentique enseignement et ainsi de suite; ils ont atteint l’éveil en purifiant ce qui obscurcissait l’omniscience (accomplissant ainsi le bien individuel) et en intégrant la signification essentielle (accomplissant ainsi le bien d’autrui); et ils ont pleinement éveillé en eux la manifestation de toutes les qualités.
Vient ensuite la déclaration, « Ainsi, Śāriputra, le grand mantra de la perfection de la sagesse », indiquant que la réalisation n’a pas d’autre cause en dehors de cet unique objet à contempler, cette unique méthode de pratique menant au résultat final. C’est là la suprême sagesse qui fait traverser le saṃsāra jusqu’à l’autre rive. En outre, cette sagesse est ici appelée « le mantra » et elle possède cinq qualités. On l’appelle « mantra » parce que cette sagesse est innée[8] et qu’elle ne dépend pas de quoi que ce soit d’autre. Les cinq qualités du mantra sont les suivantes. 1) Puisqu’il se connaît lui-même, par lui-même, c’est le mantra de la grande connaissance. 2) Puisqu’il ne peut être récité à autrui, il est insurpassable. 3) Puisqu’on ne peut l’établir comme étant quelque entité que ce soit, il est inégalé par toutes les caractéristiques; et puisque toutes les caractéristiques ont pour essence ses propres qualités, il équivaut à la nature de l’essence inséparable. 4) Quand cette quintessence est réalisée, il pacifie toutes les souffrances résultant des conceptions erronées. 5) Comme la signification du mantra demeure au-delà de toute référence, il ne ment pas et devrait par conséquent être reconnu comme la vérité, la quintessence du cœur.
Alors, Avalokiteśvara proclame ce mantra qui englobe la totalité de la perfection de sagesse.
Tadyathā signifie « il en est ainsi », ce qui implique que tous les phénomènes du saṃsāra et du nirvāṇa sont essentiellement pareils : ils sont pareils dans la mesure où ils sont inobservables, indivisibles, et dotés de la même nature inchangée.
Oṃ signifie que tout ce qui apparaît comme les cinq poisons dans la perspective du saṃsāra, et tout ce qui apparaît comme les bouddhas des cinq familles au moment du résultat, apparaissent seulement à un esprit confus et ne peuvent être perçus en réalité.
Gate gate[9]. Ayant réalisé que la sagesse ne se trouvait nulle part ailleurs, on est allé – gate – sur l’autre rive et l’on a atteint le fruit pour notre propre bien; on a aussi traversé les bhūmis – gate – pour le bien des autres.
Pāragate[10] signifie qu’on a atteint l’objectif le plus élevé pour soi-même et qu’il n’y a rien d’autre à espérer.
Pārasaṃgate[11] signifie qu’on a parfait le plus noble et merveilleux bienfait pour les autres, ce qui découle de la compassion ressentie pour les êtres. Une personne qui a atteint la perfection à cet égard se manifestera en tant que nirmāṇakāya auprès de ceux qui ont purifié leur karma, et en tant que saṃbhogakāya auprès de ceux dont la nature est pure.
Bodhi est la qualité de compassion incessante, qui apparaît aux êtres en tant que signification de la prajñāpāramitā.
Svāhā signifie que les esprits sont naturellement libérés. C’est-à-dire qu’ils sont libérés du fait de leur propre nature. Il n’y a rien d’autre à rechercher – aucune autre instruction essentielle.
Vient ainsi l’instruction: « “Śāriputra, vous devez tous vous entraîner de cette façon à la profonde perfection de la sagesse.” »
« Alors, le Bienheureux sortit de son recueillement et félicita le grand être, le bodhisattva, le noble Avalokiteśvara : “Excellent!” »
Dès qu’Avalokiteśvara eut fini de prodiguer l’enseignement à Śāriputra, le Bienheureux émergea de l’absorption par laquelle il a fait mûrir l’assemblée et causé le dévoilement de l’enseignement. Il félicita Avalokiteśvara en disant, « Comme ton enseignement est l’incontestable Dharma sacré que j’ai enseigné, il est excellent! Cet enseignement est vraiment excellent, ô fils de noble famille, puisqu’il représente le but pour soi et les autres. Voilà mon enseignement sur le fait que la base, la voie et le fruit sont naturellement présents! Noble Avalokiteśvara, comme tu l’as enseigné à Śāriputra, les êtres devraient pratiquer la profonde perfection de la sagesse, cette sagesse primordiale présente en nous de façon inhérente. » Ce passage recense donc les mots prononcés directement par le Bienheureux.
La phrase suivante, « Alors, même les tathāgatas se réjouiront » indique que, comme les paroles directes du Bienheureux et les mots bénis prononcés par Avalokiteśvara sont en accord, tous les tathāgatas se réjouissent de cet enseignement harmonieux.
« Quand le Bienheureux eut prononcé ces mots, le vénérable Śāriputra, le noble bodhisattva mahāsattva Avalokiteśvara, toute l’assemblée, de même que le monde des dieux, des humains, des asuras et des gandharvas, se réjouirent. »
Cette description évoque la joie et l’allégresse de toute l’assemblée qui savoure le sens de ce Dharma harmonieux et des paroles prononcées par le Bouddha et son représentant, le noble Avalokiteśvara. À la fin, tous ceux rassemblés – les quatre suites, le sublime Indra, roi des dieux, Vemacitra, roi des asuras, Pañcaśikha, roi des gandharvas, et ainsi de suite – offrirent des louanges.
Ceci conclut le commentaire de Śrī Siṃha : peu de mots, mais un sens profond. Cette lampe – la plus brillante – révéla à Vairotsana le sens du Sūtra du cœur de la sagesse dans la perspective des mantras secrets.
Ācārya Vairotsana enseigna ensuite ce commentaire au Roi Tri Songdetsen et à son fils, à un moment où une certaine arrogance avait fait surface dans leur esprit à l’égard de la pratique du dharma axé sur les caractéristiques[12].
| Traduit en français par Vincent Thibault (2023) sur la base de la traduction anglaise de Samye Translations (Maitri Yarnell, Peter Woods, Stefan Mang et Libby Hogg, 2019). L’équipe originale remerciait Thomas Doctor pour ses éclaircissements et s’est appuyée sur la version du Sūtra du cœur traduite par Adam Pearcey. En français, nous avons largement réutilisé notre propre traduction.
Bibliographie
Édition tibétaine
Tōh. 4353 : sher snying 'grel pa sngags su 'grel pa, sna tshogs, co 203b7–209b7.
Sources secondaires
Hanson-Barber A. W. “The Life and Teachings of Vairocana” (Ph.D. dissertation). University of Wisconsin-Madison, 1984.
Lopez, Donald S. “The Commentaries of Kamalaśīla and Śrīsiṃha” dans Donald S. Lopez (ed.) Elaborations on Emptiness: Uses of the Heart Sūtra. Princeton : Princeton University Press, 1996 : pages 105 à 115.
Version : 1.0-20230825
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Dans la version originale, le terme rendu ici par « tantrique » est en fait « mantra » (sngags, en tibétain). Ce mot fait ici référence aux tantras. Le commentaire explique donc la signification du Sūtra du cœur dans la perspective tantrique. ↩
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Il semblerait que les deux mères soient la Prajñāpāramitā (déité féminine personnifiant la sagesse transcendante) et le Dharma. ↩
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Cette ligne implique que le sūtra renferme les bénédictions des trois types de sūtras : 1) ceux prononcés directement par le Bouddha (zhal nas gsungs pa’i bka’); 2) ceux enseignés grâce aux bénédictions du Bouddha (byin gyis brlabs pa’i bka’); et 3) les sūtras délégués (rjes su gnang ba’i bka’). ↩
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Ici, l’auteur explique le sens du terme bcom ldan ‘das (bhagavat en sanskrit, rendu ici par « Bienheureux ») en en décortiquant les syllabes. Cette explication suit l’ordre syllabique tibétain et s’accorde à la compréhension tibétaine usuelle de ce terme telle qu’on la trouve, par exemple, dans le Lexique en deux volumes (sgra sbyor bam po gnyis pa). Le commentaire définit donc un « Bienheureux » comme celui qui conquiert (bcom), possède (ldan, rendu ici par « maîtrise ») et transcende (‘das). ↩
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Les cinq excellences : le temps, le lieu, l’enseignant, l’assemblée et l’enseignement parfaits. Elles sont expliquées tour à tour dans le texte. ↩
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Le terme saṃkliṣṭa (kun nas nyon mongs), qui pourrait se traduire par « complète affliction », fait référence à l’état où l’on est dominé par les émotions destructrices primaires et secondaires – une façon de décrire le saṃsāra. ↩
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La traduction de cette phrase est incertaine. ↩
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« Innée » : tentative pour rendre « self-abiding » (« qui demeure en elle-même »). ↩
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Littéralement, « allé, allé ». ↩
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Littéralement, « allé au-delà ». ↩
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Littéralement, « allé complètement au-delà ». ↩
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Donald Lopez (1996 : 115, note 16) note que le terme tibétain mtshan ma'i chos spyod pa, traduit ici par « dharma axé sur les caractéristiques », pourrait aussi faire référence au fait que Vairotsana a donné cet enseignement la nuit (mtshan ma), en secret. ↩