Une lampe éclairant les points cruciaux
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Une lampe éclairant les points cruciaux de la voie de la méditation
par Tsoultrim Zangpo
L’espace du dharmakāya, sans origine et dépourvu d’élaborations,
Son éclat imparable, clarté du sambhogakāya,
Et ses expressions impartiales, manifestations du nirmāṇakāya –
Je m’incline devant le maître qui personnifie ces trois kāya.
Puissions-nous voir que la sagesse de l’espace fondamental et vide est le guru ;
La nature de la présence spontanée, la déité yidam ;
Et l’expression radieuse de l’énergie compatissante, la ḍākinī.
Que triomphe l’essence de ces trois racines, notre propre présence éveillée !
La condition naturelle et ultime des phénomènes n’est autre que la sagesse spontanée de l’esprit en tant que tel. Quand elle est actualisée, la condition naturelle du saṃsāra et du nirvāṇa l’est également, puisque [la nature de l’esprit] n’est autre que la véritable nature des choses.
Ce mode d’être est la nature des phénomènes du créateur universel[1], la vacuité qui est affranchissement des limites conceptuelles. Sous sa forme ultime, cette vacuité est la qualité vide qui, associée à l’essence de la présence éveillée, constitue la nature de l’esprit. Tant que l’on est déconnecté de cette nature, la réalisation est impossible. Cependant, quand le pratiquant repose en méditation dans l’esprit en tant que tel, les phénomènes du saṃsāra et du nirvāṇa se manifestent comme le déploiement de cette sagesse-vacuité.
S’il y avait une autre dharmatā, indépendante de la nature de l’esprit, tous les phénomènes qui la partageraient seraient eux aussi indépendants et distincts de l’esprit en tant que tel. Il s’ensuivrait qu’ils existeraient réellement. Puisque leur nature ne serait alors pas vide [c’est-à-dire dépourvue] de réalité véritable, l’existence véritable serait la nature des choses. [Ce n’est évidemment pas le cas.]
Par conséquent, puisque toutes les apparences expressives ne sont rien d’autre que des manifestations de la pure présence éveillée, tout objet qui apparaît « à l’extérieur » le fait dans le miroir de la présence éveillée. Il n’y a pas de base indépendante qui sous-tend l’apparition de l’objet. Donc, les phénomènes purs et impurs se manifestent par le pouvoir et la force de la présence éveillée. Cela signifie que si, en méditation, on s’établit dans la sagesse « vide d’esprit » et qu’on parvient à cette réalisation, tous les phénomènes se déploieront comme des formes vides – apparentes mais dépourvues d’existence véritable.
Peut-être vous demandez-vous alors quelle est la méthode pour se déposer dans la nature de l’esprit.
Même l’état d’esprit dans lequel vous vous trouvez à l’instant – cet état dans lequel les pensées se succèdent, avec leur lot de fixation et de références conceptuelles – a pour essence la présence éveillée, qui n’est pas entachée par la saisie dualiste et ne s’écarte jamais d’un état omnipénétrant. C’est ce qu’il vous faut actualiser, et c’est ce dans quoi vous devez vous établir. L’essence de cette expérience comporte une composante de « vide » (c’est l’absence de pensées), de même qu’une composante de quiétude (c’est l’absence de mouvement). L’expérience implique aussi un élément de félicité, de même qu’un aspect de clarté ou d’intelligence qui discerne. Ces diverses qualités sont présentes spontanément, et elles ont toujours été parfaites, depuis l’origine. Cela signifie que quand on actualise la pure présence éveillée, il est impossible que ces qualités ne se manifestent pas automatiquement, en même temps. Quelque qualité qui se produise – félicité, clarté ou autre –, n’y faites pas délibérément converger votre attention, et n’essayez pas de préserver l’expérience. Plutôt, déposez-vous naturellement, sans forcer quoi que ce soit, en veillant simplement à ne pas oublier ou perdre l’expérience de la soi-disant « qualité de présence éveillée », c’est-à-dire l’aspect de la sagesse qui n’est que pure présence, libre des pensées. Préserver de cette façon la continuité de l’expérience, en maintenant simplement la reconnaissance (ou en ne l’oubliant pas), c’est la méditation originale, naturelle, qui n’est pas entachée par quelque autre méditation délibérée. Reposer continuellement dans cette expérience, sans se laisser distraire, mais sans forcer la concentration, c’est « l’authentique attention intrinsèque ». Il s’agit, sans distraction, de ne pas perdre la simple présence éveillée (autrement dit, de n’être « pas oublieux »), et quand on est distrait, de relâcher la distraction en reconnaissant simplement sa nature essentielle.
Ces formes de pure présence éveillée s’intégreront inséparablement et deviendront indivisibles. Il est dit que cette intégration marque le point où pensées et perceptions commencent à se transformer en sagesse. Alors, n’effectuez aucune séparation entre ce qui est regardé et celui qui regarde, entre le maintien et celui qui demeure, entre ce qui est préservé et celui qui préserve. Si vous pouvez maintenir la continuité de l’expérience du repos, sans effort délibéré, dans la simple vue de la propre essence de l’esprit, les objets distrayants se dissiperont dans la nature intrinsèque, puisqu’ils ne sortent pas de sa dimension naturelle, qui englobe tout. Tant pendant la méditation qu’entre les séances, laissez se dénouer d’eux-mêmes tous les doutes et spéculations qui pourraient vous ligoter – toute pensée telle que « Est-ce cela? », ou « N’est-ce pas cela? ». C’est ce qu’on appelle le « yoga semblable à l’espace ».
Peut-être vous demandez-vous si cette qualité de présence éveillée transforme tout ce qu’elle connaît en sagesse discernante (prajñā) et en vision pénétrante (vipaśyanā). Tout ce qu’elle connaît – tout ce dont elle est consciente – est vu au sein de la dimension vide de la pure présence éveillée elle-même, qui a toujours été manifeste, depuis le tout début. En fait, les objets de la présence éveillée ne sont jamais vraiment sortis de cette vaste nature – pas même un seul instant! C’est pourquoi, ici, quand on se dépose en méditation, il n’est nul besoin d’appliquer comme un « rapiéçage » la vacuité à la pure présence éveillée. Le simple fait de se déposer directement dans cette pure présence éveillée et de tout laisser être, tel quel, engendra rapidement une réalisation de la vacuité.
La méditation dans laquelle on se dépose naturellement dans la pure et vive présence éveillée est un moyen de maintenir la « cognition ordinaire » (tha mal ba’i shes pa). Il est crucial que vous adoptiez une forme d’attention détendue, en demeurant dans l’expérience de la pure présence éveillée sans poursuivre les objets.
En pleine méditation et entre les séances,
Tant que vous ne vous écartez pas de la pleine présence,
C’est la « grande méditation de la non-méditation ».
Ne l’oubliez jamais, mais tentez de l’appliquer en tout temps.
Je prie afin que grâce au mérite engendré, tous les êtres,
Mes chères mères d’antan, atteignent promptement l’éveil.
Le dénommé Tsoul a prononcé ces mots pour répondre aux requêtes de Dongna Gyenlo et Tsounpa Yilo. Que la vertu et les bonnes conditions abondent! Puissent les enseignements de la Grande Perfection se diffuser partout!
| Traduit en français par Vincent Thibault (2025) sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey (2016).
Bibliographie
Édition tibétaine
Tshul khrims bzang po. sgom gyi lam gnad gsal ba'i sgron me in sprul sku tshul khrims bzang po’i gsung ’bum. 16 vols. 2014 (BDRC: W3PD247). Vol. 5: 357–361.
Version : 1.0-20250127