Instructions pour pratiquer la quadruple vacuité
Un festin d’ambroisie
Instructions sur la pratique de la quadruple vacuité, le sens du Cœur de la sagesse transcendante
par Rongtön Shéja Kunrig
Hommage au maître et à la déité suprême !
Tu personnifies l’amour pour tous les êtres ;
Tu les mènes tous à leur pleine maturité,
En faisant pleuvoir le nectar du saint Dharma.
Avec foi, je te place au-dessus de ma tête, Seigneur des Sages !
Je vais ici exposer les instructions
Sur la façon de pratiquer le sens de la Prajñāpāramitā,
L’unique voie empruntée par tous les vainqueurs,
L’essence suprême de tous les enseignements excellents.
Voici comment pratiquer la quadruple vacuité, qui est le sens du Cœur de la Connaissance transcendante.
I. Les préliminaires
Tout d’abord : 1) le yoga dévotionnel axé sur le maître ; 2) le yoga de la prise de refuge dans les Trois Joyaux ; 3) le yoga des quatre incommensurables ; et 4) le yoga de l’intention altruiste et de la bodhicitta. Ces quatre points constituent les préliminaires à la voie : il est crucial qu’ils précèdent toutes les formes de pratique.
II. La partie principale
La partie principale de la voie se décline ici en trois sections : 1) éliminer les extrêmes conceptuels grâce à la vue ; 2) prendre à cœur le sens de l’enseignement en méditant ; 3) comprendre les bienfaits.
1. Éliminer les extrêmes conceptuels
Cela implique d’observer avec sagesse les cinq agrégats et de voir qu’ils sont vides de nature propre. On se penche d’abord sur la forme. Pour ce faire, pensez à un aspect quelconque de l’objet choisi – sa forme ou sa couleur, par exemple – et observez la façon dont l’objet apparent est vide de nature véritable, à l’instar du reflet de la lune sur l’eau. Il importe de commencer par penser à l’objet en question, parce qu’on ne peut éliminer la saisie erronée des attributs que l’on croit être réels sans d’abord identifier ce qui sert de base à de tels attributs. Observez alors comment l’apparence de l’objet est vide de nature propre, vide de toute essence véritable. C’est le sens de la phrase, « les formes sont vides ». Pour reprendre l’analogie, quand la lune se reflète dans l’eau, le reflet a beau apparaître comme une lune, il n’en a pas vraiment l’essence, la nature ou les caractéristiques. Quand vous l’avez compris, appliquez ce même principe à des objets (des formes, par exemple) et reconnaissez qu’alors même qu’ils apparaissent, ils sont dépourvus de réalité véritable. [Cette approche] élimine l’extrême de la superposition de l’existence.
L’extrême obtus de la non-existence est quant à lui éliminé par le fait que, bien que la nature des choses soit vacuité, il y a toujours une myriade d’apparences. [Cette perspective], exprimée dans la phrase « la vacuité elle-même, ce sont les formes », élimine l’extrême consistant à les rejeter comme étant inexistantes. Pour reprendre notre analogie, bien que le reflet soit « vide de la lune », il apparaît néanmoins comme la lune.
Le vers « La vacuité n’est autre que la forme ; la forme n’est autre que la vacuité » montre qu’il est nécessaire de comprendre l’indivisibilité des apparences et de la vacuité. Bien que la lune apparaisse dans l’eau, il n’y a pas de lune ; bien qu’il n’y ait pas de lune, il y a l’apparence d’une lune. De même, il n’y a pas de forme, et pourtant une forme apparaît.
Comprenez que les mêmes principes s’appliquent aux autres agrégats. De la même façon, les douze sources, les dix-huit éléments, les douze liens des origines dépendantes se rapportant à l’affliction totale (kun nas nyon mongs pa) et à la purification complète (rnam par byang ba), les quatre vérités sur lesquelles sont axées la voie, la sagesse primordiale du sujet, et les résultats à atteindre sont tous enseignés comme étant vides [dénués] de nature [propre]. Ceci conclut l’explication sur l’élimination des extrêmes conceptuels.
2. Prendre le sens à cœur en pratiquant la méditation
Prendre le sens à cœur en méditant signifie se familiariser, encore et encore, en samādhi, avec ce que la vue nous a permis de réaliser : le fait que toutes les apparences soient dépourvues de réalité véritable. Si l’objet manque de clarté, on parle de torpeur ; si l’esprit ne peut demeurer avec l’objet mais dérive ailleurs, on parle d’agitation. Employez la sentinelle de la vigilance pour détecter l’arrivée de toute torpeur ou de toute agitation, et écartez-la immédiatement. De plus, si une affliction survient – l’un ou l’autre des trois poisons, par exemple –, analysez-la avec la sagesse du discernement et méditez sur le fait qu’il n’y a [ultimement] rien à trouver. Appliquez également la sagesse du discernement pour analyser l’esprit qui médite sur la vacuité, et méditez sur le fait que [cet esprit] lui aussi est inobservé [introuvable].
Méditer sur la vacuité en tant qu’objet, c’est le yoga consistant à ne pas observer ce qui est appréhendé ; méditer sur la non-observation du sujet, c’est le yoga consistant à ne pas observer celui qui appréhende. L’instruction pour progresser : gardons continuellement à l’esprit ces deux formes de yoga pendant la post-méditation. La post-méditation améliorera alors la méditation, et la méditation facilitera la progression entre les séances. C’est une instruction clé.
Pour dire les choses simplement : on médite sur l’indivisibilité externe des apparences et de la vacuité, et sur l’indivisibilité interne de la présence éveillée et de la vacuité.
3. Explication des bienfaits
Les bienfaits sont attestés par ces vers : « L’esprit libre de tout obscurcissement, ils ne craignent rien. Ils transcendent les méprises et accèdent au nirvāṇa ultime. »
Cette instruction clé sur la façon de pratiquer
La quadruple vacuité enseignée par
Le grand et glorieux érudit Dīpaṃkara
Est exposée ici pour le bien des autres.
Grâce à la vertu obtenue par cette explication pertinente,
Que les innombrables êtres, à commencer par mes parents,
Réalisent le sens de la Prajñāpāramitā
Et atteignent promptement l’éveil insurpassable.
Ces « Instructions sur la pratique de la quadruple vacuité, le sens du Cœur de la sagesse transcendante » furent composées par le grand Rongtön Shéja Kunrig au monastère de Pal Nālendra.
| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey (2022).
Bibliographie
Édition tibétaine
shes bya kun rig. "sher phyin stong nyid bzhi sbyor nyams su len pa'i man ngag bdud rtsi'i dga' ston/" In gsung 'bum/ shes bya kun rig. skye dgu mdo: gangs ljongs rig rgyan gsung rab par khang, 2004. (BDRC W28942). Volume 1: 94–98.
Version : 1.0-20240606