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ISSN 2753-4812
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Synthèse des instructions essentielles

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Une synthèse des instructions essentielles pour franchir les trois portes de la libération

par Rongtön Shéja Kunrig

Hommage au maître et à la déité suprême !

Ta sagesse illumine tous les phénomènes connaissables,
Sans exception, comme le maṇḍala de l’astre du jour ;
Et dans ta compassion sans borne, tu prends soin des êtres.
Je t’honore, ô seigneur des sages, précieux soleil au-dessus de ma tête !

Vous bannissez entièrement la grisaille de l’ignorance,
Tout en faisant briller la lumière du sens authentique.
Ô, guides des êtres, milliards d’héritiers de bouddhas :
Vos activités sont insurpassables. Je chante vos louanges !

Les instructions pour méditer sur les trois portes d’émancipation
Sont un message transmis avec finesse au fil des excellents enseignements.
Maintenant que je les ai bien comprises, je vais, pour le bien des autres,
Les clarifier parfaitement, en ayant recours à la voix du raisonnement.

Les trois méditations (samādhi) à cultiver sont : 1) la méditation sur la vacuité ; 2) la méditation sur l’absence de caractéristiques ; 3) la méditation sur l’absence de souhaits.

1. La méditation sur la vacuité

Il nous faut parvenir à une compréhension définitive de la base, qui est vacuité, parce que c’est en réalisant la vacuité de la base que nous pouvons contrer l’ignorance, qui consiste à s’accrocher aux choses comme si elles étaient réelles. [La fin de cette ignorance] mettra à son tour fin au saṃsāra. Comme on le lit dans les Soixante-dix versets sur la vacuité :

Toute pensée d’une réalité véritable
Est ignorance, a déclaré l’Enseignant[1].

La fixation sur la soi-disant réalité des choses étant définie comme l’ignorance, nous devons réaliser la vacuité, qui est un antidote à cette fixation. C’est pourquoi les Stances fondamentales de la voie médiane disent :

La cessation de l’ignorance advient
Quand on médite avec sagesse sur le réel[2].

2. La méditation sur l’absence de caractéristiques

On peut expliquer l’absence de caractéristiques à la lumière de la vérité de la cessation ou de la vérité du chemin. Pourquoi ? La vérité de la cessation est l’essence même de l’absence de caractéristiques, alors que la vérité du chemin consiste en des méthodes qui visent à éliminer les pensées impliquant des caractéristiques.

La méditation sur les huit aspects des vérités de la cessation et du chemin est appelée « méditation sur l’absence de caractéristiques » parce qu’elle est axée sur l’absence de signes. Cette appellation renvoie donc aux objets de cette méditation.

Il y a aussi une méditation sur six aspects (deux aspects de la vérité de la souffrance et quatre aspects de la vérité de l’origine). On parle alors d’absorption méditative sur l’absence de souhaits, parce qu’elle porte sur les phénomènes du saṃsāra, qui ne sont pas ce à quoi on aspire.

Méditer sur l’impermanence et la souffrance (des aspects de la vérité de la souffrance) est nécessaire pour détourner l’esprit de cette vie-ci et se préoccuper des vies à venir. La méditation sur les huit aspects des vérités de la cessation et du chemin est quant à elle nécessaire parce qu’elle nous fait voir les bienfaits de la libération et comprendre qu’il nous faut mettre en œuvre les moyens d’y parvenir.

Méditer sur les deux aspects de la vérité de la souffrance et les quatre aspects de la vérité de l’origine revient à comprendre les défauts du saṃsāra : cette méditation suscite le souhait de s’en échapper. Comme le disait Dampa Gyagar[3] :

Si l’on n’est pas répugné par les choses du saṃsāra,
Même connaître l’intégralité du Tripiṭika s’avère inutile.

En bref, la méditation sur la vacuité entraîne la réalisation de la vacuité, antidote à la saisie de la soi-disant réalité de la base ; la méditation sur l’absence de caractéristiques coupe court à toute saisie à l’égard des caractéristiques de la voie. Ces deux méthodes offrent donc des moyens d’éliminer les imputations conceptuelles (sgro 'dogs) à l’égard, d’une part, des objets, et d’autre part, de la voie.

3. La méditation sur l’absence de souhaits

La méditation sur l’absence de souhaits entraîne la compréhension des défauts du saṃsāra et la détermination de se libérer.

Conclusion

Ces trois méditations servent d’antidotes à toute fixation sur les caractéristiques de la base, de la voie et du fruit, et on considère par conséquent qu’elles constituent une approche antidotique. C’est parce qu’elle élimine toute imputation lors de l’absorption méditative que les nobles parlent d’un « samādhi dépourvu de signes ». Par ailleurs, cette approche se décline en trois portes de la libération parce qu’elle nous permet de réaliser que la base est vacuité, que la voie est dépourvue de caractéristiques, et que les phénomènes du saṃsāra ne font pas l’objet d’une aspiration.

En résumant les quatre-vingt-quatre mille sections du Dharma,
J’ai ici clarifié, sans erreur, les étapes pour cultiver
Le triple samādhi. Grâce à la vertu qui en découle,
Puissent tous les êtres atteindre promptement l’éveil !

Ce texte, intitulé « Une synthèse des instructions essentielles pour franchir les trois portes de la libération », fut écrit par le grand omniscient Rongtön, au monastère de Pal Nālendra, en un jour favorable du mois de Saga Dawa de l’année Namjoung (c’est-à-dire du dragon de terre, 1448).


| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey (2016).


Bibliographie

Sources tibétaines

Shes bya kun rig. "rNam thar sgo gsum la 'jug pa'i man ngag snying po rab gsal." In gSung 'bum/_Shes bya kun rig. 10 vols. (gsung 'bum/ shes bya kun rig. skye dgu mdo: gangs ljongs rig rgyan gsung rab par khang, 2004. (BDRC W28942). Vol. 1: 161–164

Sources secondaires (en anglais)

Lindtner, Chr. Master of Wisdom: Writings of the Buddhist Master Nāgārjuna. Berkeley: Dharma Publishing, 1997.

Siderits, Mark & Katsura, Shōryū, Nāgārjuna's Middle Way: The Mūlamadhyamakakārikā, Boston: Wisdom Publications, 2013

Sources secondaires (en français)

Nâgârjuna, Les Stances fondamentales de la Voie médiane : Mûlamadhyamakakârikâ, traduction de Patrick Carré et du Comité de traduction Padmakara, Plazac : Éditions Padmakara, 2008.

Nāgārjuna, Stances du milieu par excellence, traduit de l’original sanskrit, présenté et annoté par Guy Bugault, Paris : Gallimard, 2002.


Version : 1.0-20240606



  1. Śūnyats̄aptati, 64 bc  ↩

  2. Mūlamadhyamaka-kārikā, XXVI, 11 cd. Les interprétations (et les traductions) de ces vers importants varient considérablement. Celle de Padmakara (p. 121) va comme suit : « Quant à l’arrêt de l’ignorance, il résulte/De la méditation sur le réel en pleine sagesse. » Celle de Guy Bugault (p. 346) : « Quant à l’arrêt de l’ignorance, il résulte de la méditation vécue du savoir en question (la coproduction conditionnée). » Pour notre part, nous avons dans une large mesure suivi la version anglaise d’Adam Pearcey (« The cessation of ignorance comes about/Through meditating on the very nature with wisdom. »), laquelle dérive partiellement d’une lecture du sanskrit (avidyāyā nirodhas tu jñānasyāsyaiva bhāvanāt).  ↩

  3. Dam pa rgya gar, un autre nom du saint indien Padampa Sangyé (Pha dam pa sangs rgyas, mort en 1117 ?).  ↩

Rongtön Sheja Künrig

Rongtön Sheja Kunrig

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