Comparaisons et sens définitifs
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Comparaisons et sens définitifs : Un chant adamantin
par Longchen Rabjam
Avec une dévotion incessante, j’adresse mes prières
Au maître, l’émanation du Vainqueur,
Le précieux joyau qui exauce les souhaits :
Bénis-moi, dans ta compassion !
Le samsara est comme un donjon royal :
La souffrance et la confusion y sont abyssales.
À présent, mieux vaut viser sans relâche
Le sanctuaire de la grande félicité, le sanctuaire de l’éveil.
Les phénomènes de cette vie sont comme des rêves :
La présence éveillée est dupée par toutes sortes d’illusions.
À présent, mieux vaut chercher refuge
Dans le Dharma irréprochable et dénué de confusion.
Les diverses distractions sont comme des scènes de marché :
La vie humaine se gaspille dans un affairement constant.
À présent, mieux vaut avoir pour objectif l’éveil,
L’accomplissement au cœur de la voie de la libération.
La confusion est comme des jeux d’enfants :
L’esprit est trompé par les phénomènes des objets et sujets.
À présent, mieux vaut consacrer les trois portes – corps, parole, esprit –
Au profond Dharma, la dimension de la condition naturelle.
Le seigneur de la mort est comme les ténèbres du soir :
Il approche, sans s’arrêter un seul instant.
À présent, mieux vaut trouver le havre de la grande félicité,
La nature authentique qui est au-delà de la mort.
Parents et amis sont comme les clients d’un bazar :
Réunis pour un temps, ils finissent par se séparer.
À présent, mieux vaut voir la nature de l’esprit telle qu’elle est –
Le sens essentiel qui n’implique aucune séparation.
Les proches sont comme des oisillons sur une branche de saule :
Chaque membre du groupe s’en ira inévitablement.
À présent, mieux vaut se nicher dans l’état naturel,
Le dharmakāya qui ne s’en ira jamais nulle part.
Les serviteurs sont comme des ouvriers engagés pour la journée :
À vos côtés pour l’instant, ils s’en iront avant longtemps.
À présent, mieux vaut être mené jusqu’à la résolution
De l’attitude éveillée au sein du dharmakāya immuable.
La célébrité est comme un dragon tonitruant dans le ciel :
En un instant, le grondement captive ton esprit.
À présent, mieux vaut méditer sur la vraie nature, claire lumière –
La condition véritable, innée, authentique.
La richesse accumulée est comme le miel de l’abeille :
On a beau l’amasser, ce sont les autres qui en profitent.
À présent, mieux vaut cacher nourriture, biens et toutes possessions
Dans le trésor de la générosité.
Le corps et la parole agités sont comme des déments :
Insouciants, ils perdent le contrôle et cèdent aux troubles intérieurs.
À présent, mieux vaut porter l’ornement de la discipline
En apprivoisant complètement les trois portes.
L’hostilité est comme un grand feu de forêt :
Elle brûle le bois de la vertu dans la continuité de l’esprit.
À présent, mieux vaut revêtir l’armure de la patience
Et enlever la douloureuse épine de la colère.
La négligence est comme la léthargie d’un bœuf :
On n’a jamais le temps de mener à bien ce qu’on entreprend.
À présent, mieux vaut monter le destrier de la présence éveillée,
Et l’éperonner avec le fouet de la diligence.
Les perceptions confuses du samsara sont comme des tours de magie :
Elles trompent par voie de distraction et de diversion, jour et nuit.
À présent, mieux vaut demeurer seul en retraite,
Et se familiariser avec la stabilité méditative.
L’illusion est comme l’obscurité nocturne :
On ne voit pas les formes dharmiques et non-dharmiques.
À présent, mieux vaut étudier et contempler de façon impartiale,
Éclairé par la torche de la sagesse du discernement.
L’affairement est comme le clapotis de l’eau :
Action, agent et objet ne connaissent pas de fin.
À présent, mieux vaut reposer librement
Dans toutes les activités de cette vie, et les laisser être.
Vouloir plus est comme la richesse elle-même :
Peu importe combien on gagne, on n’est jamais satisfait.
À présent, mieux vaut lâcher prise sur les possessions illusoires –
Ne plus s’y cramponner, ne plus céder à la fixation.
L’attachement au soi est comme un nœud coulant :
Le soi est lié dans la prison du samsara.
À présent, mieux vaut transformer les phénomènes en dharmakāya
En ne s’attachant à rien.
L’authenticité est comme une pierre précieuse :
Elle comble de bonheur et de félicité dans cette vie et au-delà.
À présent, mieux vaut s’en remettre au saint lama
Et pratiquer le saint Dharma.
Les domaines du savoir, comme des planètes et étoiles dans le ciel :
Le besoin de connaissances n’a pas de fin.
À présent, mieux vaut méditer sur la profonde ainsité,
Le sens essentiel du dharmakāya.
Les conventions sont comme les récitations d’un perroquet :
Il y a plein d’incompatibilités entre le Dharma et le tempérament.
À présent, mieux vaut pratiquer autant qu’on le peut
Pour dompter les émotions qui perturbent l’esprit.
Les systèmes philosophiques sont comme la salive empoisonnée
Du démon srin : l’esprit se ligote lui-même.
À présent, mieux vaut ne se cramponner à aucune affirmation
Sur le sens de la réalité elle-même, libre des extrêmes.
« Vue » et « méditation », comme les descriptions d’un aveugle :
Beaucoup de mots pour pas grand-chose.
À présent, mieux vaut dépasser les notions d’être ou ne pas être,
Et aborder le sens du dharmakāya, nature de l’esprit.
Les signes de progrès sont comme un gâteau pour enfants :
On veut gober jusqu’au moindre morceau.
À présent, mieux vaut être toujours libre d’attachement,
Qu’importent les expériences et réalisations qui se manifestent.
Le désir d’accomplissement est comme le capital d’un marchand :
Il implique toutes sortes d’espoirs et d’attentes.
À présent, mieux vaut réaliser la présence inhérente et spontanée,
Le sens du dharmakāya ultime.
Samsara et nirvana sont comme de bons et mauvais rêves :
Des formes vides, sans fondement, apparaissant d’elles-mêmes.
À présent, mieux vaut s’en tenir à la base de la présence éveillée
Sans adopter ni rejeter quoi que ce soit.
Les huit dharmas mondains sont comme l’oreiller d’un malade :
Peu importe ce qu’on en fait, ils n’offrent guère de réconfort.
À présent, mieux vaut lâcher prise sur cette vie
Et laisser se défaire les agrégats du nom et de la forme.
Les espoirs et les souhaits, comme les restants de nourriture
D’un vieux chien : on a beau vouloir, ça laisse à désirer.
À présent, mieux vaut examiner nos aspirations,
Et garder le cap sur le but ultime, quoi qu’il advienne.
Les activités délibérées sont comme des jeux d’enfants :
Ce n’est pas en s’y adonnant qu’on en voit la fin, mais en les cessant.
À présent, mieux vaut être mené à la conclusion de la perspective éveillée,
La dimension du dharmakāya dans laquelle il n’y a rien à faire.
Ce chant de vajra combinant analogies et sens,
Et où convergent les sens conventionnels et définitifs,
Je l’offre à ceux et celles qui écoutent avec foi.
Que sa vertu purge toute l’étendue du samsara !
Ce chant adamantin des comparaisons et sens définitifs fut composé par Longchen Rabjam, yogin du véhicule suprême, dans le lieu isolé nommé Lhoundroup Ling, pour le bien des gens qui ont la foi. Que la vertu abonde !
| Traduit par Vincent Thibault (2022) sur la base de la traduction anglaise de Benedek Bartha (2022).
Bibliographie
Éditions tibétaines
klong chen rab 'byams. “dpe don nges don rdo rjeʼi mgur”, dans gsung thor bu dri med ʼod zer (sde dge par ma). Paro, Bhoutan : Lama Ngodrup et Sherab Drimey, 1982. Vol. 2: 289–292.
dri med 'od zer. gsung 'bum/_dri med 'od zer/ dpal brtsegs/ mes po'i shul bzhag. 26 vols. Pékin : krung go'i bod rig pa dpe skrun khang, 2009. (BDRC W1KG4884). Vol. 24: 220–224.
Sources secondaires
Bartha, Benedek, Metaphor in Dzogchen and Cognitive Science: Synchronicity of Source and Target (thèse de maîtrise), University of Oxford, 2022.
Version: 1.0-20221207