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ISSN 2753-4812
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Notes sur les sept points du lojong

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Notes sur les sept points de l’entraînement de l’esprit

par Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö

Le guru Dharmarakṣita adoptait la vue des śrāvaka de l’école Vaibhāṣika. Il citait La Guirlande des trois bâtons[1] comme référence scripturaire, et en fait de raisonnement logique, il s’en remettait au Sūtra de la vue panoramique[2] et aux Jātaka.

Maitrīyogi était le cadet des frères Kusalī. Il adoptait la vue sans point d’attache[3]. En guise de référence scripturaire, il citait [Les Questions d’]Ākāśagarbha, et il alignait ses raisonnements logiques sur le Bodhicaryāvatāra et le Śikṣāsamuccaya.

Serlingpa adoptait quant à lui la vue selon laquelle la saisie du soi ne doit pas être rejetée mais plutôt considérée comme la base logique de la pratique. Sa conduite était celle des non-bouddhistes (tīrthika). Il citait Les Questions de Vimalakīrti[4] en guise de référence scripturaire, et en fait de raisonnement, il s’en remettait aux Niveaux des bodhisattvas[5]. Cette instruction découle de Maitreya. Comme on le lit dans Le Sūtra de Vimalakīrti : « La vue de la collection périssable est l’héritage des bouddhas. » Pour Serlingpa, l’égalisation de soi et autrui doit venir en premier et être suivie de la méditation sur l’échange. C’est ce que Chenga Rinpoché a dit[6]. Dromtön Rinpoché a dit quant à lui que Serlingpa pratiquait d’emblée l’échange.

Le texte des Sept points dit « Entraîne-toi à considérer toutes les choses et tous les événements comme des rêves » et « Examine la nature de l’intelligence non née ». Ces mots renvoient à l’irréalité des objets saisis et du sujet saisi. « Laisse même l’antidote se libérer de lui-même » montre l’irréalité de tous les phénomènes. « Repose dans l’ālaya, l’essence » fait référence à la claire lumière de la pratique principale qui n’est pas entachée par les concepts de sujet et d’objet.

« Entre les séances, sois comme un illusionniste » signifie qu’on ne devrait pas s’écarter de la pratique de l’équilibre méditatif pendant la post-méditation, mais s’entraîner à reconnaître l’irréalité et le caractère onirique des choses.

Le verset commençant par « En pratiquant de la sorte… » montre les bienfaits[7].

Pour ce qui est de cultiver la bodhicitta relative, le texte dit « Exerce-toi aux deux – donner et prendre – en alternance ». Cela montre comment cultiver initialement la bienveillance et la compassion. « L’un et l’autre doivent chevaucher le souffle » précise la méthode d’entraînement.

Ensuite, « Trois objets, trois poisons et trois sources de vertu » montre comment intégrer à la voie les objets de nos expériences. Les vers « En toute activité, entraîne-toi en utilisant des slogans » et « Quand le monde entier est rempli de maux, transforme l’adversité en voie d’éveil » montrent comment faire de l’adversité une alliée.

« Médite sur la grande bonté de tous » montre qu’il nous faut reconnaître la grande bonté des êtres et les chérir. C’est aussi ce qu’on appelle « l’instruction consistant à prendre la chair et prendre le sang ».

Les quatre vers qui commencent par « Trois vues… » démontrent comment transformer l’adversité grâce à la bodhicitta ultime[8].

« Sans souffrance, pas de renoncement. Le désenchantement chasse l’arrogance. Cultivez la compassion envers ceux qui sont dans le saṃsāra[9]. » Ces vers montrent qu’il faut d’abord développer le renoncement, puis méditer sur la grande bonté des êtres et cultiver la compassion.

« Les quatre pratiques constituent la meilleure méthode » explique comment s’entraîner à la bodhicitta par l’accumulation et la purification. Les quatre pratiques sont : 1) l’accumulation de mérites ; 2) la purification des actes négatifs ; 3) l’offrande aux influences nuisibles (c’est-à-dire l’offrande de torma aux fauteurs de troubles) et 4) l’offrande aux protecteurs du Dharma.

« En bref, l’essence des instructions est de s’efforcer d’appliquer les cinq forces » montre comment pratiquer tout au long de notre vie. Les cinq forces sont celles 1) de l’impulsion, 2) de la familiarisation, 3) des bonnes graines, 4) de la répulsion et 5) de l’aspiration.

« (…) correspondent aux cinq forces. La conduite est importante. » Ces vers révèlent l’instruction pour le transfert au moment de la mort. Ici, « conduite » implique de bloquer la narine droite et de s’allonger sur le côté droit au moment de mourir.

« Tous les enseignements convergent vers un même but » est une mesure de l’entraînement de l’esprit.

« Des deux témoins, fie-toi au principal » mentionne deux témoins potentiels qui pourraient désapprouver : soi-même et les autres.

« Conserve toujours une attitude joyeuse » signifie que voir une alliée dans toute circonstance indésirable témoigne de notre maîtrise de l’esprit.

« Si tu peux pratiquer même distrait, tu es compétent » est une autre mesure de l’entraînement de l’esprit, qu’on peut illustrer par l’exemple d’un cavalier émérite[10].

« Entraîne-toi constamment aux trois grands principes » : évitons 1) de transgresser les engagements, 2) d’être insouciant, 3) de sombrer dans la partialité.

« Change d’attitude, mais reste naturel » : maintenons une conduite ordinaire, tout en ne nous écartant jamais du yoga de l’échange de soi et des autres.

« Ne parle pas des membres estropiés » : évitons [de parler des] fautes[11].

« Abandonne tout espoir de résultats » : renonçons à l’espoir d’un quelconque fruit karmique.

« Renonce à la nourriture empoisonnée » : cessons de nous cramponner à la réalité des choses.

« N’exerce pas de représailles » : n’employons pas de mots blessants.

« Ne tends pas d’embuscade » : renonçons à la malveillance.

« Ne charge pas le fardeau d’un bœuf sur le dos d’une vache » : renonçons à la rancune.

« Ne sois pas compétitif » : évitons d’employer des stratagèmes pour acquérir des objets désirables.

« Ne détourne pas les rites » : cessons de pratiquer l’entraînement de l’esprit d’une manière qui n’élimine pas l’égoïsme.

« Ne réduis pas les dieux à des démons » : évitons de ridiculiser ou de diminuer les autres. L’exemple a deux sens[12].

« Ne cherche pas ton bonheur dans le malheur d’autrui » : évitons de nous réjouir du mauvais sort des autres au nom de notre propre bonheur.

« Accomplis tout avec une même intention » montre que l’entraînement de l’esprit suffit à lui seul.

« Contrecarre toutes les difficultés avec un unique remède » signifie que notre méditation peut faire fausse route si l’on manque d’enthousiasme pour l’entraînement de l’esprit, et qu’il faut par conséquent s’appliquer consciencieusement.

« Deux tâches : l’une au début, l’autre à la fin » signifie que la première chose qu’on devrait faire le matin est de s’engager à se rappeler les instructions du guru et établir une motivation dépourvue de saisie égotique. Le soir, il faut passer la journée en revue et se dire, « J’ai fait ceci, puis cela… », et ainsi de suite. Si l’on constate qu’on a transgressé l’entraînement, on le confesse ; sinon, on cultive la joie et l’on récite des vers de dédicace et d’aspiration.

« Que l’un ou l’autre survienne, sois patient » : que l’on soit promu ou rétrogradé, et que la joie ou le chagrin survienne, évitons l’arrogance et le découragement.

« Maintiens les deux, même au péril de ta vie » : tenons les engagements du Dharma en général et ceux de l’entraînement de l’esprit en particulier.

« Entraîne-toi aux trois difficultés » nous invite à surmonter les émotions perturbatrices. Il peut être difficile de se rappeler l’antidote, difficile de confronter l’émotion, et difficile d’en rompre la continuité, mais nous devons néanmoins apprendre à y parvenir aisément.

« Acquiers les trois provisions principales » implique de prendre à cœur les instructions du guru, d’éprouver un désenchantement intense, et de réunir les ressources nécessaires et les circonstances favorables.

« Cultive les trois qui ne doivent pas décliner » implique de s’entraîner aux trois facteurs qui ne doivent pas s’étioler : la foi et la dévotion, l’enthousiasme, et la conscience méticuleuse.

« Fais en sorte que les trois soient inséparables » signifie que le corps, la parole et l’esprit doivent être constamment consacrés à la pratique de la vertu.

« Médite toujours sur ceux qui sont mis de côté » nous invite à nous entraîner en portant une attention particulière à ceux qui sont proches et à ceux qui semblent désagréables, comme s’ils faisaient partie intégrante de notre propre cœur. Il s’agit aussi de s’entraîner en portant attention aux objets puissants vis-à-vis desquels les effets karmiques sont d’une importance inconcevable.

« Ne dépends pas des conditions extérieures[13] » signifie que si on ne parvient pas à réunir les conditions favorables, c’est là en soi une raison de pratiquer[14].

« Cette fois, pratique ce qu’il y a de plus important » fait référence à l’accomplissement important de ce qui est bénéfique pour les vies futures ; à la pratique importante de l’entraînement à la bodhicitta ; aux instructions importantes du guru ; et au lieu où il importe de rester, à savoir, notre siège.

« Évite les méprises » renvoie à la patience, à l’intention, à la délectation, à la compassion, aux initiatives et à la joie déplacées.

« Ne sois pas inconstant » signifie d’éviter de pratiquer occasionnellement la récitation de mantras et occasionnellement l’entraînement de l’esprit. Tant et aussi longtemps que l’esprit a besoin d’entraînement, pratiquons résolument, avec détermination.

« Libère-toi par le discernement et l’analyse » implique de s’entraîner assidûment à surmonter les émotions perturbatrices en employant des méthodes qui tiennent compte à la fois du passé et de l’avenir.

« Ne sois pas fanfaron[15] » signifie d’éviter la vantardise et l’arrogance.

« Ne sois pas irritable » signifie de ne pas riposter.

« Ne sois pas d’humeur imprévisible » nous encourage à éviter de nous exprimer de façon inconstante sur la base d’un tempérament instable[16].

« N’attends pas de reconnaissance » implique de renoncer au désir d’être célèbre ou réputé, à la soif de témoignages de gratitude, et ainsi de suite.

« Les cinq grands signes de dégénérescence sont transformés en voie d’éveil » montre les bienfaits.

Le quatrain qui commence par « Quand germèrent en moi des graines karmiques issues d’entraînements antérieurs… » évoquent les difficultés que l’auteur a endurées pour mettre les instructions en pratique.


| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey (2020), qui remerciait la Khyentsé Foundation et le Tertön Sogyal Trust pour leur soutien.


Bibliographie

Édition tibétaine

'Jam dbyangs chos kyi blo gros. "blo sbyong don bdun ma'i zin bris" in 'Jam dbyangs chos kyi blo gros kyi gsung 'bum. BDRC W1KG12986. vol. 9: 401–407. Bir, H.P.: Khyentse Labrang, 2012.

Sources secondaires

Ga Rabjampa, To Dispel the Misery of the World: Whispered Teachings of the Bodhisattvas, traduit par Rigpa Translations, Boston : Wisdom Publications, 2012.

Thupten Jinpa, Mind Training: The Great Collection, Boston : Wisdom Publications, 2006.

Sources complémentaires (en français)

Gyalsé Thogmé Zangpo, Commentaire sur les sept points de l’entraînement de l’esprit, traduit par Vincent Thibault, Lotsawa House, 2023.

Kyabgon, Traleg, La pratique du lojong : Cultiver la compassion par l’entraînement de l’esprit, traduit par Vincent Thibault, Québec : Éditions Carrefours azur, 2022.


Version : 1.0-20240813


  1. Nous avons lu dbyug pa au lieu de g.yug pa.  ↩

  2. lta yangs kyi mdo. Il s’agit probablement d’une erreur. D’autres sources mentionnent L’Ornement des sūtras d’Aśvaghoṣa. Voir Thupten Jinpa (2006), p. 88.  ↩

  3. Non-abiding, en anglais, qu’on aurait aussi pu traduire par sans demeure, non statique, voire dynamique. Dans sa traduction du commentaire de Sé Chilbu, Thupten Jinpa associe cette perspective philosophique à la Voie médiane. Voir Mind Training, p. 88.  ↩

  4. Nous avons lu grags plutôt que grang.  ↩

  5. Ici, le texte tibétain omet le terme pour « niveau » ou bhūmi (sa). La traduction suit celle de Thupten Jinpa (2006), p. 88.  ↩

  6. Le texte de Sé Chilbu Chökyi Gyaltsen, qui semble être la référence utilisée par Jamyang Khyentsé, comprend la même affirmation par Chenga Rinpoché, mais attribue cette vue à Maitrīyogi plutôt qu’à Serlingpa. Voir Jinpa (2006), p. 89.  ↩

  7. Il semble s’agir d’une référence à ce quatrain : de ltar sgrub pa thams cad kyang/ /dngos 'dzin zhen pas ma bslad par/ /mkha' bzhin stong pa chen po byer/ /'chi med bde chen ngang du 'gro//, que l’on pourrait traduire ainsi : « En pratiquant de toutes ces façons,/Nullement entaché par la saisie ou par l’attachement à la réalité des choses,/Tout se disperse dans la vaste vacuité semblable à l’espace,/Et l’on parvient à un état de grande félicité au-delà de la mort. » Voir aussi Jinpa (2006), p. 93.  ↩

  8. Les deux premiers vers du quatrain mentionné ici ne figurent pas dans la plupart des éditions des Sept points. Les voici : lta ba gsum dang nam mkha' mdzod/ rnal 'byor bsrung ba bla na med. On pourrait les traduire ainsi : Trois vues et le trésor de l’espace –/Ce yoga est la protection insurpassable. Voir aussi Jinpa (2006), p. 106.  ↩

  9. Comme le signale Thupten Jinpa, ces slogans ne font pas partie des Sept points. Deux d’entre eux sont tirés du Bodhicaryāvatāra ; on ne sait pas d’où provient le troisième. Voir Jinpa (2006), p. 109 et p. 593, n. 220-221.  ↩

  10. Nous avons lu rta pa rtsal can plutôt que rtag pa rtsal chen.  ↩

  11. Il semble manquer un mot ou deux dans le texte tibétain.  ↩

  12. Le sens précis de cette phrase est obscur. On pourrait aussi la lire ainsi : Il y a deux exemples, chacun ayant sa propre signification.  ↩

  13. Nous estimons qu’une erreur s’est glissée dans le texte et qu’il faut lire rkyen gzhan dag plutôt que skye ba gzhan dag. Cette correction est basée non seulement sur les autres versions des Sept points mais aussi sur l’explication qui suit.  ↩

  14. Pour paraphraser Sé Chilbu : l’absence de conditions favorables constitue en soi une ressource pour pratiquer l’entraînement de l’esprit. Voir Mind Training, p. 126.  ↩

  15. Nous avons lu rngom pa plutôt que snon pa.  ↩

  16. Nous avons lu rnam 'gyur plutôt que rnal 'byor.  ↩

Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö

Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö

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