Un enseignement sur les offrandes de fleurs
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Un enseignement sur les offrandes de fleurs
par Jigmé Tenpé Nyima, le troisième Dodrupchen Rinpoché
Hommage aux bouddhas et aux maîtres !
Nous possédons à présent un corps humain, la pure base (de la vie) : quelque chose d’immensément difficile à acquérir[1]. Nous avons aussi (les Trois Joyaux qui constituent) l’insurpassable champ (ou source) permettant de générer des mérites. Ce qu’on doit donc faire, désormais, c’est planter des graines (les mérites) dans ce champ suprême, autant que nous le pouvons, pour récolter assez de provisions pour le voyage vers notre prochaine vie. Viendra en effet un moment où nous devrons abandonner jusqu’à ce corps qu’on chérit tant.
Si nous nous évaluons à la lumière de notre conduite actuelle, nos chances de nous extirper du saṃsāra sembleront bien minces. Il est donc dit que dans notre cas, (l’accumulation de mérites) est ce dont on a le plus besoin.
Quand nous présentons des offrandes, ne serait-ce que de l’eau ou des fleurs, le respect et le dévouement sont de mise. Car :
Si on accumule des mérites (même une granule à la fois), l’ensemble grossira comme une fourmilière.
Si on les use (même au goutte-à-goutte), on les épuisera comme on vient à bout de gouttes oculaires.
La raison est simplement que les choses s’amplifient quand on les accumule – tout spécialement le karma, qui augmente grandement. En particulier, les fruits d’un seul instant de karma subtil, s’il s’appuie sur le pouvoir des terres pures, seront d’une vastitude et d’une ampleur inconcevables.
Parlons maintenant des fleurs. Elles sont totalement pures, et regorgent de qualités en fait d’esthétique, de couleurs, de parfums, de douceur… Elles sont, de par leur nature même, une suprême source de joie en ce monde. Et elles ne sont jamais malséantes, même quand c’est un grand roi qui les offre.
L’été, des fleurs à l’allure et aux couleurs distinctives, embaumant de parfums variés et exquis, poussent abondamment sur les arbres, dans les champs, près des lacs, et couvrent la vaste terre. Même le plus humble d’entre nous peut en récolter sans crainte de les épuiser.
De plus, les fleurs sont des substances extrêmement pures, puisqu’on peut les obtenir sans commettre de méfait. On peut les offrir sans (risquer de ressentir la moindre) avarice, ni (le moindre) regret (après coup). Donc, l’offrande sera faite avec un esprit pur au début, au milieu et à la fin[2].
Même quand une maison est de qualité inférieure, la décore-t-on de fleurs qu’elle a soudain l’air digne et coquette. Elle se transforme alors en source d’« esprit clair » (sems dang ba), à l’instar des mondes célestes. Les fleurs constituent donc de puissantes substances à offrir.
Ce qu’on entend par « esprit clair » possède de nombreuses autres qualités. Comme le dit le Lion de la Parole :
« Si tu habites dans une maison décorée de fleurs, ton esprit demeurera (dans la quiétude) et atteindra le fruit (spirituel). »
Même les êtres célestes considèrent que les fleurs sont les substances d’offrande les plus nobles. Selon le Lalitavistarasūtra, de tels êtres offrirent des fleurs au Bouddha dès qu’il atteignit l’éveil.
Dans les terres pures également, les fleurs sont chéries comme étant les substances d’offrande les plus sacrées. Comme le dit l’Amitābhavyūhasūtra :
Tenant dans leurs mains des fleurs diverses,
Colorées et délicieusement parfumées,
Les humains et les dieux les offrent
À Amitāyus, le chef suprême des êtres.
De même, il est dit que quand le noble bodhisattva Sadāprarudita rencontra Dharmodgata, et quand Maṇibhadrā aperçut le Seigneur Maitreya, ils leur offrirent d’abord des fleurs. En outre, de nombreux sūtras mentionnent que lorsque des bouddhas de différentes terres pures échangent des présents, ils s’envoient des fleurs.
Explorons brièvement les mérites découlant des offrandes florales.
Dans le Zamatog Tawu’i tam, il est dit :
Si vous présentez des offrandes en faisant pleuvoir
Des fleurs excellentes sur le Saṅgha,
Vous connaîtrez une prospérité qui dépasse celle d’Indra.
Vous incarnerez la beauté du seigneur des lotus.
Votre renommée atteindra des sommets.
Vous vaincrez instantanément
Tous les ennemis, en tout temps.
Vous deviendrez le seigneur des lieux.
C’est-à-dire que (grâce à vos offrandes de fleurs) vous récolterez une prospérité abondante, un corps attirant, la renommée, la victoire sur les ennemis, et la gloire. « Saṅgha » est mentionné à titre d’exemple d’objet auquel présenter des offrandes. En outre, dans le Śikṣāsamuccaya, on trouve cette citation du Puṣpakuṭa-dhāraṇī : « Le mérite généré en lançant une seule fleur dans le ciel et en pensant (qu’il s’agit d’une offrande) au Bouddha est plus grand que celui engendré en faisant des offrandes de vêtements et de mets divins à autant de pratyekabuddhas qu’il y a de grains de poussière sur la terre. »
Le Bhadramati-paripṛcchā-sūtra et le Vimala-paripṛcchā-sūtra du Ratnakūṭa-sūtra disent tous deux que « si vous remplissez vos mains de fleurs de lotus et d’outpala et que vous les offrez au Bouddha, vous renaîtrez miraculeusement dans un grand et précieux lotus en présence d’un tathāgata (bouddha). »
Le Vinaya-sūtra ajoute :
La valeur du mérite accumulé par une personne sage
Qui empile des fleurs avec un esprit joyeux
(Devant un) stūpa du Bouddha
Sera incomparablement plus élevée
Que celle d’une centaine de milliers de récipients
Pleins de l’or du fleuve Jambu.
En d’autres mots, la valeur des bienfaits d’une offrande florale présentée au Bouddha vaut infiniment plus que cent mille contenants remplis d’or du fleuve Jambu : ce sont deux choses que l’on ne peut comparer. Tâchons d’en apprendre davantage à ce sujet en consultant de nombreux autres sūtras, tels que l’Avalokana-nama-sūtra.
En outre (selon les sūtras), on obtiendra autant de mérites en présentant des offrandes à un bouddha en vie (et se trouvant devant nous) que si on les offre à un bouddha qui a déjà atteint le nirvāṇa et à qui nous pensons.
De plus, offrir des fleurs mandāravā issues des domaines célestes et offrir des fleurs ser-chen[3] peuvent générer des mérites équivalents : ce qui compte dans la création de mérites, ce n’est pas l’aspect matériel, mais principalement l’attitude consistant à offrir ce qu’on peut, comme en attestent les histoires rapportant l’offrande du roi Prasenajit et l’offrande de lumière faite par une mendiante[4]. Il est bon de contempler ces bienfaits et d’entamer (la pratique de l’offrande) en éprouvant une grande joie.
Le Karmaśataka-sūtra rapporte qu’Anāthapiṇḍada paya plus de 100 000 pièces d’or pour un lotus qui avait poussé dans le jardin du roi afin de l’offrir au Bouddha. Voici par ailleurs ce que le seigneur Atiśa déclara un jour : « En Inde, nous n’avons pas de shang-dril (une fleur spéciale qui pousse au Tibet). Si nous en avions eu, je les aurais achetées avec de l’or (pour en faire des offrandes). » Donc, si des personnes dotées d’un mérite aussi inexhaustible ont autant insisté (sur le fait d’offrir des fleurs), son importance pour les gens comme nous ne fait aucun doute. Une nuance, toutefois : il ne convient pas d’offrir des fleurs vénéneuses.
Les fleurs doivent être fraîches et dépourvues du moindre défaut. Trouvez-les dans un lieu propre, puis examinez-les pour voir s’il s’y trouve des insectes ; s’il n’y en a pas, lavez-vous le visage et les mains, puis cueillez les fleurs. Ensuite, placez-les individuellement (ou agencez seulement leurs capitules), ou disposez-les en guirlandes comme on le voit dans le Bodhicaryāvatāra. L’une ou l’autre méthode convient.
Si vous arrangez les fleurs (ou leurs capitules) individuellement, remplissez-en votre paume. Si vous en faites des guirlandes, levez-les avec vos deux mains. Ensuite, rappelez-vous d’abord les qualités du Bouddha. Si vous ne connaissez pas ces qualités, pensez simplement au Bouddha.
Le Ratnolkā-sūtra nous conseille d’avoir cette pensée : « Puissent ces fleurs se transformer en baldaquins, et ainsi de suite. » Le Triskandhaka-sūtra ajoute : « Puisse cet ornement de festons floraux décorer toutes les sphères phénoménales (dharmadhātu) ». De la sorte, nous devrions offrir des fleurs en pensant, « Puisse l’infinité des terres pures – les maṇḍalas des tathāgatas des dix directions et leurs entourages – être (remplie de) manoirs, dais et baldaquins composés de fleurs. Que s’élèvent de lumineux nuages de fleurs et de joyaux précieux, et que chacun d’eux fasse pleuvoir des ornements fleuris qui emplissent toute l’étendue de l’espace. Qu’ils demeurent à jamais ! »
Aussi, joignons les paumes et prosternons-nous respectueusement, conformément à ce que décrit l’Amitābhavyūhasūtra : « Tenez-vous debout, face à l’ouest, lancez des fleurs et prosternez-vous en joignant les paumes. »
Si vous offrez des fleurs à des images ou à des stūpas, commencez par balayer l’espace environnant. S’il s’y trouve de vieilles fleurs (issues d’offrandes antérieures), jetez-les à un endroit où personne ne risquera de les enjamber. Puis, faites vos offrandes. Les sūtras disent qu’il y a autant de mérite à jeter les vieilles fleurs qu’à en présenter des fraîches.
À la fin, vous rappelant les bienfaits des offrandes florales décrits dans le Ratnakūṭa-sūtra qu’on a cité plus haut, faites des prières d’aspiration, du fond de votre cœur. Si vous la connaissez, récitez la prière en vingt versets du Ratnamālā[5].
Entre-temps, inspirez les autres à faire des offrandes avec vous. Donnez des fleurs aux personnes âgées qui sont incapables d’en cueillir par elles-mêmes – vos parents, par exemple – et permettez-leur ainsi de faire des offrandes. De plus, introduisez habilement les gens avares à la pratique de l’offrande, s’ils y semblent disposés.
Quand vous prenez la route et que vous voyez ne serait-ce qu’une pierre ornée d’un « Om Mani Padmé Houng », cueillez une fleur et déposez-la près de la pierre en guise d’offrande. Si vous vous entraînez de différentes façons à faire des offrandes, la force de vos mérites augmentera. Comme il est dit :
La lune et le soleil pourraient changer de place ;
Les montagnes et la terre pourraient se mouvoir ;
Même la nature du ciel pourrait changer –
Mais vous (le Bouddha) n’avez jamais
Prononcé un seul mot qui ne soit pas vrai.
Pour répondre à la requête d’un bouquet de fleurs qui a demandé, « S’il te plaît, écris quelques mots limpides (sur les offrandes de fleurs) », ce vieil homme, Océan de Pensées au Bavardage Incessant, a composé ce texte dans le temple d’un joyeux ermitage où les cloches du shang shang[6] dansent au gré du vent.
| Traduit en français par Vincent Thibault (2023) à partir de la traduction anglaise de Tulku Thondup et Philip Richman reproduite sur le site de Lotsawa House avec leur aimable autorisation (www.tulkuthondup.com).
Bibliographie
Édition tibétaine
‘jigs med bstan pa’i nyi ma. « me tog mchod pa’i gtam/ » dans rDo grub chen ’jigs med bstan pa’i nyi ma’i gsung ’bum. 7 vols. Chengdu : Si khron mi rigs dpe skrun khang, 2003. TBRC : W25007, vol. 5 : 508–514.
Version : 1.0-20230421
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Les mots entre parenthèses sont des ajouts de la part des traducteurs. ↩
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Au Tibet oriental, où vivait le Troisième Dodrupchen Rinpoché, les fleurs sauvages recouvraient de nombreux champs et montagnes pendant l’été. Il n’y avait pas de fleurs à vendre : tout un chacun pouvait les cueillir librement. ↩
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On pourrait penser, disons, à des fleurs comme la renoncule (le « bouton-d’or »). ↩
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Dans une de ses vies antérieures, le roi Prasenajit avait offert un repas tout simple, sans plat d’accompagnement (ou sans sel, selon certains). Le résultat fut qu’il naquit en tant que roi. Quant à l’indigente, il s’agit d’une femme qui travailla durement pour acquérir un peu d’huile dont elle fit une lampe qu’elle offrit aux pieds du Bouddha, tout en faisant de vastes aspirations. Toutes les autres lampes en vinrent bientôt à s’éteindre, comme d’habitude ; mais la sienne brûla pendant longtemps. La Bouddha prophétisa qu’elle deviendrait elle-même bouddha. ↩
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Ce texte, dont le titre peut aussi s’orthographier Ratnāvalī, est de Nāgārjuna. Les vingt versets en question figurent au dernier chapitre. Ils commencent par « Je prends refuge dans le Bouddha, le Dharma et le Saṅgha » et se terminent par « Puissé-je demeurer en ce monde, même si j’atteins l’éveil. » ↩
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Jīvaṃjīvaka en sanskrit : un oiseau mythique à deux têtes, ou dont la partie inférieure du corps est de forme aviaire et la partie supérieure, de forme humaine. ↩