Autobiographie de Longchen Rabjam

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Longchen Rabjam

Longchen Rabjam

Autobiographie de Longchen Rabjam[1]

extraite de l’Histoire du précieux rosaire

Je suis né dans la vallée supérieure de Dra, dans le Yorou, en tant que fils de Lobpön Tenpa Soung et de Droza Sönam Gyen. Dès mon jeune âge, j’avais une grande foi et je faisais preuve de compassion et d’intelligence. En outre, des signes témoignaient de la protection extrêmement rapprochée de Namdrou Rémati, qui fut même aperçue sous une forme physique. À sept ans, je savais lire et j’avais appris les pratiques des sādhanas de Kīlaya, de l’Assemblée des sougatas et de Guru Rinpoché. Grâce à cela, à neuf ans, j’avais déjà accédé à une certaine compréhension.

À douze ans, je fus ordonné moine novice par Khenpo Samdroup Rinchen et Lobpön Künga Özer. J’ai appris le Vinaya, que je fus en mesure d’expliquer dès mes quatorze ans. À seize ans, j’ai reçu des initiations, conseils et instructions de Lobpön Tashi Rinchen sur différents sujets dont le Lamdré, les six yogas, les six dharmas de Vārāhī, la tradition de Cakrasaṃvara issue de Ghaṇṭāpāda, et Mahācakra Vajrapāṇi. De Lobpön Wang-yé[2], j’ai reçu des instructions sur maintes catégories de sādhanas des mantras secrets. De Zaloung Rinpoché, j’ai reçu les instructions de Zhang Tsalpa, celles de Götsangpa se rapportant à la voie, et de nombreux autres enseignements, portant notamment sur le Chöd et le Zhijé.

À dix-neuf ans, je suis allé à Sangp’ou, où j’ai étudié le véhicule des caractéristiques, notamment les Traités de Maitreya et la connaissance valide (pramāa). Pendant six ans, j’ai étudié intensivement avec le grand maître Labrangpa Chöpal Gyaltsen, le second Dharmakīrti[3] et d’autres encore. Du grand enseignant Tsengönpa, j’ai reçu des instructions sur les sept traités sur la connaissance valide, le Sūtra du cœur, de nombreuses transmissions mineures se rapportant à Tārā, et plus encore. De Lotsāwa Lo-Ten[4], j’ai reçu de nombreuses transmissions mineures, incluant celles pour les cinq sūtras profonds, dont le Roi des samādhi, et le commentaire exhaustif du Sūtra du cœur.

Occasionnellement, j’ai effectué les pratiques des déités qui augmentent l’intelligence, comme Acala, Sarasvatī et Prajñālokakṛtya[5]. Cela a eu pour effet de me faire constater des signes d’accomplissement en rêves, et d’attiser un peu ma compréhension en ce qui a trait aux écritures, aux instructions essentielles, au raisonnement et à la poésie. J’ai ensuite parcouru différents lieux, recevant des enseignements sur les sūtras, les tantras et les instructions essentielles de la part de nombreux enseignants, et raffinant ma compréhension par l’étude et la contemplation.

De Lobpön Zhönnou Döndroup, j’ai reçu maints enseignements sur le Sūtra de la condensation des intentions, le Filet de l’illusion magique, la série de l’esprit, et d’autres sujets encore. De Lobpön Zhönnou Gyalpo, j’ai reçu la totalité du corpus des œuvres d’Ārya Nāgārjuna, incluant les Stances fondamentales de la Voie médiane, de même que l’Introduction à la Voie médiane, et ainsi de suite. De Lobpön Zhönnou Dorjé, j’ai reçu le Bodhicaryāvatāra, le Recueil d’instructions (Śikṣāsamuccaya), et plusieurs transmissions orales, dont celles se rapportant à l’union sextuple et aux six yogas de la tradition de Jowo Atiśa. J’ai reçu d’un khenpo de nombreuses autres instructions supplémentaires, y compris la collection des enseignements de Trop’ou, la collection des enseignements de Kharak, l’Océan des sādhanas, les Cent dharmas mineurs, et des textes du Vinaya. Avec le Karmapa, ce noble guru et seigneur du Dharma, j’ai étudié le yoga en six branches (incluant l’élimination des entraves), les six yogas de Nāropa, l’introduction directe aux trois kāyas, le Grand Compatissant Jinasāgara, la tradition royale du Grand Compatissant, et d’autres choses encore. De plus, j’ai reçu de Lobpön Wangtsoul de nombreux enseignements sur le yoga en six branches, l’approche et l’accomplissement, et le vent-énergie (loung), et les ai pratiqués sans ordre particulier.

Quand j’ai passé cinq mois dans l’obscurité, dans une caverne rocheuse à Chokla, un matin, en rêve, je me suis retrouvé dans une basse vallée sablonneuse parsemée de petites collines et de chutes d’eau. J’ai entendu des cymbales accompagnées d’un chant, et j’ai alors aperçu un cheval caparaçonné de cloches. Sa cavalière était une fille de seize ans portant des vêtements de soie et des ornements d’or et de turquoises; son visage était dissimulé derrière un voile doré. J’ai saisi les rênes et lui ai dit, « Noble Dame, prenez soin de moi! » Elle a alors retiré son diadème de joyaux et l’a placé sur ma tête, disant, « À partir de maintenant, je vais continuellement t’accorder bénédictions et accomplissements. » Dès qu’elle eût prononcé ces mots, je me suis retrouvé immergé, physiquement et mentalement, dans un samādhi bienheureux, clair et non conceptuel. Je ne me suis pas réveillé pendant un long moment. Même après que je me sois levé, à l’aurore, l’expérience s’est poursuivie pendant trois jours entiers.

Puis, au printemps, à Samyé, j’ai rencontré le noble guru [Kumārādza], qui demeurait dans les hautes terres de Yartökyam. Il dit, « La nuit dernière, j’ai rêvé d’un merveilleux oiseau d’origine divine, qui te symbolisait. Il semble qu’un détenteur de cette lignée d’enseignements est arrivé. Je dois t’offrir les instructions dans leur entièreté. » Il était transporté de joie.

Ce printemps-là, nous sommes passés neuf fois d’une vallée désolée à une autre. Les bouleversements constants, chaque fois que nous établissions un nouveau camp, ont entraîné des difficultés extrêmes pour le corps et la parole. Pendant deux mois, je ne me suis sustenté que de trois mesures de farine et vingt-et-une pilules de mercure. Quand il neigeait, je me plaçais dans le sac qui me servait à la fois de manteau et de siège. J’ai fait le vœu de traverser de telles épreuves pour le Dharma pendant trois ans. Je méditais dans des ermitages, en des lieux comme Chimp’ou, et j’allais occasionnellement voir le guru pour clarifier ma compréhension des instructions et lui faire l’offrande de ma pratique, ce qui le comblait. Je n’avais aucun attachement aux apparences de cette vie, et j’étais libre du piège de l’espoir et de la crainte à l’égard du saṃsāra et du nirvāṇa. Je m’étais au moins engagé sur la voie de la libération par la vue de la nature fondamentale de la Grande Perfection et du repos constant en samādhi. Par le jeu de mon karma antérieur et surtout de mes aspirations, je me suis rendu au lieu de retraite appelé « Lotus surgi de lui-même », la montagne aux Cinq Pics du Tibet[6], où, pour quelques élèves possédant le karma et la bonne fortune nécessaires, j’ai mis en lumière l’excellente voie de la Lumineuse essence adamantine.

J’aspire à œuvrer diligemment au bien des autres, jour et nuit ; à cinq reprises en présence du noble guru, j’ai fait des offrandes nullement corrompues par les trois sphères conceptuelles ; et je maintiens la tradition consistant à présenter des offrandes aux vīras et ḍākinīs les dixièmes et huitièmes jours de chaque mois, donnant ainsi du sens à tout ce qui a été offert avec foi. Tout ce que je fais – le jeu des phénomènes et perceptions illusoires – est en harmonie avec le noble Dharma. Alors, pour m’assurer que les instructions authentiques ne soient pas mal interprétées, mais qu’elles soient facilement comprises et mises en pratique, j’ai couché par écrit les instructions essentielles dans de nombreux textes. En particulier, j’ai exposé les instructions de la Quintessence du guru, Joyau qui exauce les souhaits (Lama Yangtik) dans une série de trente-cinq enseignements, et les ai scellés avec une aspiration pour le bien des générations futures.

Que ceux et celles qui me suivront à l’avenir se détournent des affaires de cette vie, prennent le futur en main, suivent un enseignant spirituel authentique, reçoivent les instructions de l’Essence lumineuse, et mettent en pratique les instructions de la secrète Essence du cœur, retirés dans des lieux isolés. De cette façon, qu’ils transcendent le saṃsāra et le nirvāṇa au cours de cette vie même et, quand se seront manifestées les indications prophétiques, qu’ils œuvrent autant que possible au bien des autres. Résistant à toutes les formes d’ingratitude et de lassitude, qu’ils diffusent largement les instructions.


| Traduit en français par Vincent Thibault (2024) sur la base de la traduction anglaise d’Adam Pearcey (2024), qui remerciait la Tsadra Foundation.


Bibliographie

Édition tibétaine

klong chen rab 'byams pa dri med 'od zer. "lo rgyus rin po che’i phreng ba" In snying thig ya bzhi. 13 vols. Delhi: Sherab Gyaltsen Lama, 1975. Vol. 1: 127–133 (3.5 folios)

Sources secondaires

Arguillère, Stéphane. Profusion de la vaste sphere: Klong-chen rab-’byams (Tibet, 1308–1364). Sa vie, son œuvre, sa doctrine. Leuven: Peeters Publishers, 2007.

Cornu, Philippe, article « Longchen Rabjam » dans Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme, Paris : Éditions du Seuil, 2001, pages 316–318.

Dorji Wangchuk. "Cross-Referential Clues for a Relative Chronology of Klong chen pa’s Works". In Orna Almogi (ed.), Contributions to Tibetan Buddhist Literature. Proceedings of the Eleventh Seminar of the International Association for Tibetan Studies, Königswinter, 2006. Beiträge zur Zentralasienforschung. Halle: International Institute for Tibetan and Buddhist Studies, 2008, pages 195–244.

Ford, Renée. "Longchenpa Drime Wozer," Treasury of Lives, accessed January 23, 2024, https://treasuryoflives.org/biographies/view/Longchenpa-Drime-Wozer/2882.

Nyoshul Khenpo. A Marvelous Garland of Rare Gems. Translated by Richard Barron. Junction City, California: Padma Publication, 2005.

Tsumagari, Shinichi. Meaningful to Behold: A Critical Edition and Annotated Translation of Longchenpa’s Biography. Create Space, 2016.

Tulku Thondup. Masters of Meditation and Miracles: The Longchen Nyingthig Lineage of Tibetan Buddhism. Boston: Shambhala, 1996.


Version : 1.0-20240428



  1. Ce titre fut ajouté par le traducteur.  ↩

  2. Diminutif de Wangchouk Yéshé (dbang phyug ye shes).  ↩

  3. Selon d’autres sources, le second Dharmakīrti serait Zhönnou Rinchen (gzhon nu rin chen).  ↩

  4. Diminutif de Lodrö Tenpa (blo gros brtan pa).  ↩

  5. Une forme de Vajravārāhī.  ↩

  6. Ce « lieu appelé “Lotus surgi de lui-même” » fait référence à Samyé Chimp’ou, que Longchenpa compare ici à Wutaishan, montagne située en Chine et associée à Mañjuśrī et Vimalamitra.  ↩

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